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lesquelles ont pour objet et pour effet, non seulement d’épargner de la main-d’œuvre, mais d’accroître la quantité des produits, d’en éviter la déperdition et parfois d’en améliorer la qualité.

Un souffle de recherche et de progrès anime la grande propriété moderne, tandis qu’un certain attachement à la routine, une naturelle timidité, tendent à caractériser la petite propriété.

On a bien vu ces deux dispositions contradictoires dans le midi de la France lors des crises qu’a traversées la vigne. C’est un grand propriétaire du département de l’Hérault, M. Marès, qui a inventé le traitement de l’oïdium avec le soufre ; c’est un grand propriétaire d’un des départemens voisins, M. Faucon, qui a appliqué la submersion pour lutter contre le phylloxéra; c’est une grande société viticole, celle des Salins du Midi, qui a fait connaître la résistance à l’insecte de la vigne plantée dans certains sables ; c’est sur le domaine d’un grand propriétaire de la Gironde, M. Johnston, qu’a été reconnue l’efficacité du sulfate de cuivre pour triompher du mildew ou peronospora.

Ce sont les grands propriétaires, particulièrement du département de l’Hérault, qui, luttant pendant quinze ans contre certains savans, notamment contre le grand chimiste Jean-Baptiste Dumas, qui voulait leur imposer le sulfure de carbone, et contre l’administration officielle qui préconisait exclusivement ce remède, ont avec des recherches infinies, une persévérance sans égale, des dépenses énormes, établi l’immunité des vignes américaines, sélectionné les plants, multiplié les essais et les expériences, et reconstitué plus de 600 000 hectares de vignes, presque soudainement détruits, en consacrant à cette œuvre, dans le seul département de l’Hérault, environ 300 millions de francs en une quinzaine d’années.

A l’heure actuelle, c’est aussi la grande propriété moderne qui fait des recherches incessantes pour lutter contre les autres ennemis de la vigne, l’anthracnose, le black rot; c’est elle qui a créé des hybrides ayant des qualités particulières, le « Petit Bouschet », « l’Alicante Bouschet » ; c’est elle aussi qui recherche les meilleures méthodes de vinification, qui introduit les fouloirs-égrappoirs, au lieu du procédé tout primitif d’écrasement de la grappe sous les pieds du vigneron, qui s’ingénie à varier les modes et la durée de la cuvaison, qui fait les expériences des levures artificielles, etc.

Les petits propriétaires n’ont pas l’esprit assez alerte pour prendre l’initiative de ces expériences ; l’Etat a trop de rigidité et de parti pris, pas assez de souplesse, pour suppléer en pareil cas à l’ingéniosité diversifiée de l’initiative privée. Les petits propriétaires, quoique leur intelligence dans cette partie de la France