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la beauté ; ils ne la voyaient pas seulement dans les images tirées du marbre ou de la pierre, mais dans les formes parfaites de la jeunesse développées par les jeux nationaux : voilà donc la raison de cette exhibition, que certains trouveraient indécente. Elle a en outre un but utile : celui de comparer d’année en année les progrès physiques accomplis par le trapèze, les haltères et des engins suédois plus perfectionnés. Mais que nous sommes loin du vieil esprit puritain !

C’est dans le Sud que les écoles d’arts et métiers ont eu depuis vingt-cinq ans la croissance la plus rapide. Il fallut, après la guerre, mettre des moyens d’existence entre les mains de ces millions de nègres affranchis subitement d’un trait de plume, et en même temps les élever par une certaine culture intellectuelle à la hauteur du rang nouveau de citoyens américains que rien ne les avait préparés à tenir.

L’un des hommes qui s’attachèrent dès le début avec le plus de zèle à l’œuvre de reconstruction fut le général Armstrong, fondateur de l’Institut de Hampton (Normal and Agricultural Institute). Il avait dans les veines du sang de missionnaire et d’éducateur ; son père, l’un des premiers Américains qui allèrent évangéliser les îles de la Polynésie, avait été nommé, par le roi d’Hawaii, ministre de l’Instruction publique. Avant même de se rendre aux États-Unis pour y achever ses études, le jeune Armstrong put constater que les progrès de la piété chez des races presque innocemment licencieuses sont peu de chose s’ils ne servent pas de base à la formation du caractère ; il remarqua en outre que l’école des missions, une école purement élémentaire et professionnelle, rendait de meilleurs services à Hawaii que celles du gouvernement, dont les visées sont beaucoup plus ambitieuses. Ces souvenirs lui furent utiles, quand il entreprit d’élever les nègres qui, par certains côtés impulsifs et enfantins, rappellent les indigènes au milieu desquels s’était passée son enfance.

Durant la guerre, dite de sécession, Samuel Armstrong commanda des troupes de couleur ; il fut frappé de leur soumission à la discipline, de leur dévouement aux chefs qui les traitaient bien, de leur élan dans le combat. Il vit des soldats noirs étudier sous le feu leur syllabaire, — et conclut qu’il fallait leur donner toutes les chances possibles de devenir des hommes comme les autres. À travers les longues péripéties d’une lutte sanglante, il eut comme la vision du devoir qui l’attendait, et les circonstances le servirent singulièrement. Chargé d’administrer dix comtés de la Virginie de l’Est, d’y arranger les affaires nègres et de régler les