en leurs cassettes, décrivaient les mœurs des bêtes rencontrées au désert, les loups dont le seul regard tuait de loin les hommes, les reptiles monstrueux qui hantaient des forêts fantastiques. Ceux qui, dans leur jeunesse, avaient lu, aux écoles épiscopales, les écrivains latins, célébraient les gestes du peuple dont les mains bâtirent Rome pour la plus grande gloire de la sainte Eglise. Et les pèlerins d’humeur plaisante citaient les bons mots et les stratagèmes par lesquels tels de leurs compères s’étaient tirés d’embarras, tout en faisant rire de quelque mari pitoyable, d’une femme acariâtre ou perfide, d’un prêtre avare, d’un moine glouton, d’un baron brutal. Les heures coulaient ainsi très douces, et l’on oubliait les hasards du voyage, la tempête, la peste, les voleurs ou les pirates.
Mais tous ces contes, ces moralités, ces observations étranges de la nature ne se perdaient point pour le reste du monde. Il se trouvait toujours quelque auditeur zélé qui les rendait plus tard aux compilateurs d’encyclopédies, tels que Vincent de Beauvais, aux collectionneurs de beaux exemples moraux, tels que Jean de Capoue et Jacques de Vitry, aux prédicateurs, aux chroniqueurs, tels que Mathieu Paris. Et les contes, isolés ou groupés en familles, commençaient, à travers les littératures, un voyage au long cours. Ils erraient d’une contrée à l’autre, du latin pesant des clercs aux langues encore bien pauvres des laïques. La Disciplina clericalis du juif espagnol Pierre-Alphonse, qui se fit baptiser en 1106, passe sans tarder aux récits du Libro de los Enxemplos, puis elle franchit les Pyrénées, et s’établit chez nous sous le nom de Discipline de Clergie. A la fin du XIIIe siècle, une migration de fabliaux va de France en Espagne, et se fixe dans le recueil intitulé le Comte Lucanor, qu’écrivit un neveu d’Alphonse le Sage. Les histoires venues du monde romain apparaissent partout où Rome a laissé un souvenir. Les Gesta Romanorum n’ont, pour cette raison, ni date, ni origines certaines; ils appartiennent, comme Tite-Live et Paul Orose, à tous les peuples, et ne prendront que très tard le droit de cité en France, comme Violier des hystoires rommaines. A la fin du XIIIe siècle encore, l’Italie produit ses premiers essais de prose vulgaire en résumant, d’une façon bien timide et bien sèche, dans ses Dodici Conti morali, des fabliaux de France, et, dans les Conti di antichi Cavalieri, quelques récits héroïques tirés de nos vieux romans chevaleresques, de nos légendes de croisades et des historiens latins.
Par-dessus cette immense forêt de contes qui couvrait toute l’Europe, s’éleva, tel qu’un arbre gigantesque, le roman universel des Sept Sages, traduit, retouché ou compliqué par toutes les littératures, le conte indien, arabe et persan, prototype des Mille et