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humble servante, même à l’esclave. La jeune fille en âge de prendre mari; la fille qui se marie à l’âge où elle ne l’espérait plus; la femme mariée, du premier au quinzième jour après les noces, puis du premier au troisième mois de vie conjugale; la veuve, jeune, vieille, entre deux âges; la veuve qui prend un second, même un troisième époux; la béguine, la nonne, la recluse, la dame de compagnie, la nourrice; puis, la toilette, les divertissemens, les conversations, les jeux d’esprit, les oraisons, notre notaire a tout prévu, tout analysé, tout réduit en préceptes. Il parle en son nom, ou passe le discours à des personnages allégoriques comme il s’en trouve au Roman de la Rose. Mais Guillaume de Lorris et Jean de Meung sont bien scolastiques, gâtés par les universaux, et les abstractions qu’ils font mouvoir ont la figure inerte et le geste raide des sculptures gothiques. Ce Florentin, au contraire, est très vivant; on sent en lui une sorte de confesseur laïque de vaste expérience, consulté par les familles, par les femmes en danger de perdition, par les maris tourmentés de mauvais songes. Chacun de ses vers semble renfermer le souvenir d’un aveu, l’écho d’un mea culpa. « Garde-toi, dit-il aux jeunes dames, garde-toi des pèlerins avec leurs barbes et leurs sébiles, qui demandent l’aumône, vont s’asseoir près des femmes; puis font des prophéties où les sottes se laissent prendre. Garde-toi du médecin, qui regarde moins la maladie que les charmes de la malade. Si tu es jeune, ne va pas pour tes procès aux cours de justice, mais laisse aller tes procureurs. Prends garde au tailleur qui offre gratuitement ses services et, prenant ses mesures, tourne autour de toi en t’admirant. Ne va pas de nuit aux offices ou aux étuves, si tu es prudente. Si tu veux aller au bal où se trouvent aussi des cavaliers, qu’il fasse au moins grand jour ou que les lumières soient assez vives pour que l’on voie ceux qui chatouillent la paume de la main : « Chessiveggia chi man gratta. » Il dénonce le péril et « le serpent » jusque dans l’ombre des petites chapelles, sur les degrés du confessionnal ou de l’autel. Il ferme au prêtre la porte de la maison, et il défend à la femme de l’entr’ouvrir pour lui. Il ne veut pas qu’elle consulte le moine en secret; elle lui parlera en plein air, « devant les églises. « Il se méfie des dévotes, « qui marchent dans la rue leur rosaire à la main et n’ont au cœur que des pensées de vanité, » ou qui « étalent ouvertement leurs aumônes, font parade de leurs jeûnes et se frappent fortement la poitrine. » Ce guelfe, légiste épiscopal, si timoré, avait embrassé la religion intérieure prêchée jadis à l’Italie par François d’Assise. Pour lui, la vraie piété était l’amour de Dieu. « Quand vous priez, fait-il à l’abbesse du Reggimento, ayez dans le cœur ce qui est dans vos paroles. » « Adorez en tous