sacrifices chaque année plus lourds se prolongeassent indéfiniment sans compensation matérielle; il n’admettrait pas cette gageure, les territoires du Soudan toujours agrandis, toujours arrosés de sang et d’argent, et considérés toujours comme un polygone pour les manœuvres des colonnes. Prenons-y garde, nous tous apôtres convaincus d’une expansion qui sera peut-être coloniale : ce sentiment public, si favorable à nos vues depuis quelques années, peut se retourner soudain. Sa réaction serait violente, comme toutes les réactions dans notre pays, elle interromprait l’œuvre commencée, elle nous mettrait aussi bas qu’il y a cent trente ans ; elle aurait pour excuse notre imprévoyance, notre obstination à berner ces Gaulois qui aiment bien le panache, mais qui finissent par se révolter quand on l’agite à perpétuité devant eux, sans leur montrer un corps vivant sous cette fantasmagorie.
Il faut vraiment avoir la foi coloniale chevillée à l’âme pour résister aux argumens redoutables que l’on fournit à plaisir aux anti-coloniaux.
Les grandes compagnies, ce n’est qu’une demande des professionnels; en dira-t-on autant de l’armée, coloniale? Il n’y a qu’un cri pour l’exiger. Seule, elle peut faire accepter aux hésitans notre surcharge d’obligations extérieures. Plus malheureuse encore que les compagnies, l’armée coloniale attend depuis plus longtemps, en dépit de sept rapports parlementaires tués sous elle. Désormais, nous devons renoncer même à l’espérer; elle a été condamnée en principe par la plus haute autorité militaire. On a entendu avec stupeur M. le ministre de la guerre déclarer que cette armée spéciale serait bonne tout au plus à tenir garnison, et que les troupes régulières garderaient pour elles seules le privilège d’aller au feu. Nul n’ignore cependant que l’emploi du contingent normal, dans les expéditions lointaines, est la grosse pierre d’achoppement de notre expansion. Les coloniaux protestent contre cet emploi, parce qu’ils veulent un instrument approprié à leur tâche; les patriotes éclairés protestent, parce qu’ils surveillent d’un œil jaloux la couverture déjà trop mince de notre frontière; la masse de notre peuple proteste, parce qu’elle a une idée profondément logée dans la cervelle, l’incompatibilité entre le service obligatoire et le service colonial; et une aversion instinctive dans le cœur pour l’envoi forcé de ses enfans aux pays exotiques. L’humanité, le bon sens et l’expérience protestent : le Tonkin et le Dahomey nous ont trop renseignés sur la résistance des soldats de 21 ans ; ils fondent comme cire sous le soleil des tropiques et dans l’empoisonnement des fièvres paludéennes. Pour donner satisfaction au sentiment populaire, si chatouilleux