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Cette position n’avait au point de vue militaire qu’une médiocre valeur. Sur plusieurs points des brèches avaient été pratiquées, et le pisé ruiné par les pluies s’était écroulé. L’intérieur était commandé à 150 ou 200 mètres par l’étage de feux aménagé à la partie supérieure du mur d’enceinte du village, d’un autre côté par des contreforts de la montagne. Un ruisseau encaissé et ombreux permettait à l’assaillant de battre en toute sécurité les crêtes du petit ouvrage. Ce qu’il y avait de plus grave, c’est que l’eau manquait : un puits de quatre à cinq mètres de profondeur, creusé dans l’intérieur du tata, n’était alimenté que par les pluies.

Le 23, à la première heure, le capitaine Dargelos s’installa. Le lieutenant Bonnard étant parti après lui avoir remis le commandement, il restait le seul Européen dans ce coin perdu du Soudan, environné de ruines. Il avait pour toute société vingt-cinq noirs, dont deux ou trois tout au plus avaient appris quelques mots de français. Il ne connaissait aucun d’eux, et aucun d’eux ne le connaissait. Il sentit sa solitude, et il faut être un homme fort pour être soi-même quand on est seul. Il surmonta sa tristesse, s’occupa sans retard d’organiser la défense, en admettant la supposition peu probable qu’il eût un jour affaire à l’armée entière de Samory.

Son premier soin fut de faire disparaître la partie du mur d’enceinte du village qui dominait le poste ; on le découpa en tranches, qu’on sapait à la base, qu’on ébranlait par des poussées successives, et qui s’écroulaient à grand bruit, mettant à nu des nichées de scorpions, dont quelques-uns mesuraient jusqu’à vingt centimètres de longueur. Les tirailleurs menèrent vivement ce travail de démolition, qui devait permettre aux défenseurs d’enfiler les rues du village. En même temps, des ouvriers réquisitionnés parmi les habitans surélevaient les faces du tata, perçaient des créneaux. Deux puisatiers de profession poursuivaient le forage du puits commencé; ils ne rencontrèrent qu’une faible voie d’eau, donnant à peine quelques litres en vingt-quatre heures. Le 26, une tornade s’abattit sur la région et transforma en lac les abords du poste. Le capitaine fit exécuter quelques petits ouvrages de canalisation, et les eaux répandues allèrent se déverser dans une mare voisine.

Pendant que tirailleurs et Malinkés travaillaient résolument, ayant pris à cœur leur rude besogne, les femmes ne restaient pas oisives. Chaque jour elles venaient décortiquer le riz destiné à nos soldats. « Elles passaient au poste plusieurs heures, nous dit-on, ne cessant de chanter une courte phrase d’un charme doux et mélancolique, dite alternativement et indéfiniment reprise par la plus âgée, puis par ses compagnes, tandis que le choc contre le mortier des pilons manœuvres en mesure produisait un accompagnement sourd et rythmé. » Au soudan