Au barbare qui envahissait l’Empire romain, le simple mobilier et la garde-robe d’un ménage modeste de notre petite bourgeoisie ou de l’élite de notre classe ouvrière eût paru abonder en objets de luxe ; quelques fauteuils peu coûteux, mais capitonnés, un tapis de feutre, des rideaux aux fenêtres, un joli papier à bon marché tapissant le mur, une glace, une pendule, quelques vases pleins de fleurs, une vaisselle un peu variée, des chemises, des mouchoirs, des cravates, des bas, tout cet attirail nouveau pour lui, lui eût semblé n’être essentiel ni aux besoins normaux de l’existence, ni même à la décence et à l’agrément de la vie. Bien plus, il s’en serait trouvé gêné et incommodé.
Si l’on introduit aujourd’hui encore un berger des Pyrénées ou des Alpes dans l’appartement d’un rentier ayant une vingtaine de mille francs de rentes et vivant conformément à ce revenu, il trouvera que cet homme s’encombre d’une foule d’objets inutiles, de riens coûteux et qui ne peuvent procurer que des jouissances factices.
L’idée de ce qui constitue le luxe varie de la façon la plus frappante suivant le pays, le temps et les classes de la société. Chaque classe considère comme luxe les objets que sa situation de fortune ne lui permet pas de posséder et dont la classe supérieure, au contraire, a les moyens d’user.
Un fait absolument démontré, et dont nous fournirons plus loin quelques exemples, c’est que le luxe d’une époque ou d’une classe sociale tend à devenir, sinon une nécessité, du moins un objet de décence pour l’époque suivante et pour la classe sociale d’en dessous. La civilisation est caractérisée par la généralisation graduelle, progressive, de nombre de consommations de luxe qui perdent ainsi successivement ce caractère. Chaque dizaine d’années, quelques objets de luxe cessent de l’être par leur diffusion et l’abaissement de leur prix.
La définition que nous avons donnée est essentielle pour permettre d’aborder l’examen de la légitimité ou de l’illégitimité, de l’utilité ou de la nocuité du luxe.
En parlant du luxe en principe, nous faisons abstraction de certains excès et de certaines aberrations. En se demandant si le vin est bon pour l’homme, on entend seulement un usage modéré et rationnel du vin.
L’usage du luxe, c’est-à-dire de superfluités même coûteuses, même ne flattant que la vanité ou les dispositions frivoles de l’esprit et des sens, doit-il être proscrit par l’économie politique ? doit-il, au contraire, être admis par elle, tout au moins obtenir d’elle des circonstances atténuantes, tout en mettant de côté les extravagances et les difformités luxueuses, qui évidemment sont condamnables ?