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Soult ayant adressé un ordre à Vandamme avant que sa nomination eût été rendue officielle, le fougueux général écrivit à Davout cette lettre qui est vraiment d’une belle ironie : « J’ai reçu une lettre par laquelle le duc de Dalmatie s’annonce comme major général. Je crois devoir l’envoyer à Votre Excellence avant d’y répondre. Comme le duc de Raguse pourrait me donner le même avis, je dois regarder celui-ci comme non avenu jusqu’à ce que je sois prévenu de cette nomination par Votre Excellence ou par un décret impérial. »

Depuis qu’il était « passé roi », selon l’expression en usage dans l’armée, Murat ne figurait plus sur la liste des maréchaux. Mais trois semaines avant l’entrée en campagne, le roi Joachim, tombé du trône, s’était réfugié dans les environs de Toulon. Il ne lui restait pas même son sabre de soldat. Il conjura l’Empereur de le lui rendre. « Je veux, écrivit-il, verser pour vous la dernière goutte de mon sang. » Napoléon refusa, ne croyant pas pouvoir donner un commandement dans l’armée française à un Français qui un an auparavant avait combattu contre elle. Puis il en voulait à son beau-frère d’avoir, au mépris de ses instructions, commencé trop tôt la guerre contre les Autrichiens et surtout de s’être fait battre. Plus tard, dans les rêveries de Sainte-Hélène, Napoléon regretta sa décision envers ce grand meneur de chevauchées. « A Waterloo, disait-il. Murat nous eût valu peut-être la victoire. Que fallait-il? Enfoncer trois ou quatre carrés anglais. Or, Murat était précisément l’homme de la chose. » Peut-être, en effet. Murat, qui avait le double don d’imprimer à ses cavaliers un élan irrésistible et de méduser l’ennemi, eût-il passé sur le ventre aux Anglais. En tout cas, la cavalerie, si elle avait été réunie sous son commandement, n’aurait pas si inopportunément obéi aux ordres du prince de la Moskowa.

Avant de s’occuper des maréchaux, l’Empereur avait nommé aux principaux commandemens les généraux qui pouvaient ambitionner le maréchalat et qu’il y avait déjà promus dans son esprit. Il comptait trouver parmi ces hommes « ayant leur chemin à faire », comme il disait, plus d’ardeur et de dévouement que chez ses anciens camarades tout chargés de gloire et d’honneurs. Il donna le 1er corps d’armée à Drouet d’Erlon, divisionnaire de 1805, combattant d’Iéna et de Friedland, et l’un des meilleurs