progrès des arts et des sciences, n’ont pas été et ne sont pas entretenus et développés par la recherche constante d’une vie plus embellie, de besoins plus diversifiés ; si une société qui ne maudit pas et ne proscrit pas le luxe n’a pas, même pour les objets communs, une force productive infiniment plus grande qu’une société qui maudit et proscrit le luxe.
Il faut rechercher si le goût même de la nouveauté et du changement, qui caractérise le luxe, ne contribue pas à tenir l’esprit général d’une société plus en éveil, plus porté aux améliorations industrielles, aux découvertes, aux perfectionnemens ; si, au contraire, une société rivée toujours au même genre de vie monotone, insipide, serait aussi productive, même en ce qui concerne l’agriculture et les arts communs, qu’une autre sollicitée à l’activité incessante par des habitudes de luxe.
Alors on s’apercevrait sans doute que, contrairement au mot de Rousseau : « S’il n’y avait pas de luxe, il n’y aurait pas de pauvres », les superfluités du luxe ne sont pas acquises aux dépens des nécessités du pauvre. Citant et approuvant le mot de Rousseau, Emile de Laveleye ajoute : « Visitez les contrées alpestres de la Suisse ou les vallées de la Norvège, et vous verrez que Montesquieu et Rousseau n’avaient pas tort. » S’il avait été un peu plus versé dans les statistiques, Laveleye aurait vu que la Norvège est précisément l’un des pays où l’indigence est proportionnellement le plus répandue.
Pour juger cette question si importante au point de vue économique, il est bon de jeter un coup d’œil sur l’évolution historique des consommations privées.
Les progrès industriels et le développement de la richesse générale font peu à peu tomber dans l’usage commun une quantité de marchandises qui, autrefois, étaient regardées comme de grand luxe. A s’en tenir à l’alimentation, le sucre jadis était du luxe, et les épiées et le café, et, dans la partie du pays qui n’en produisait pas, le vin. Les verres à vitre ont longtemps passé pour du luxe ; pendant plus longtemps encore les glaces et les rideaux de fenêtre, et les tapis. Une montre et une pendule étaient des objets de luxe de premier ordre, jusqu’à ce qu’on fût arrivé à en fabriquer pour 40 à 50 francs d’abord, puis pour 5 à 10 francs. Dans le vêtement, les chemises, les bas, les chaussures, les mouchoirs (encore du temps de Montaigne), les rubans, les dentelles, ont été regardés comme superfluités dont l’homme et la femme, vivant suivant la loi de nature, devaient se passer. Au XVIIIe siècle,