- Sachez surtout que le luxe enrichit
- Un grand État s’il en perd un petit :
- Le pauvre y vit des vanités des grands.
En prose grave, le philosophe de Ferney prend sa revanche : « Le luxe est la suite, écrit-il, non du droit de propriété, mais des mauvaises lois. Ce sont donc les mauvaises lois qui font naître le luxe, et ce sont les bonnes qui peuvent le détruire. » M. de Laveleye applaudit à ce singulier aphorisme.
Pour le luxe et l’une de ses formes les plus caractéristiques, les modes, Montesquieu écrit : « Les modes sont un objet important. A force de se rendre l’esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son commerce. » Contre le luxe il s’exprime ainsi : « Si les richesses sont également partagées, il n’y aura pas de luxe ; car il n’est fondé que sur les commodités qu’on se donne par le travail des autres. » Il n’est pas nécessaire d’être le premier publiciste de son siècle et l’un des premiers de tous les temps pour découvrir que, si les richesses étaient également partagées, il n’y aurait plus de luxe. Mais ce partage égal des richesses est-il possible ? est-il même désirable ? et la grande masse des hommes ne gagne-t-elle pas beaucoup elle-même en confortable à l’inégalité des richesses, qui est le plus énergique des stimulans de la production ? Voilà une question plus sérieuse.
Si nous étalons ainsi les incohérences de ces grands esprits, ce n’est pas pour faire preuve d’une érudition qui, d’ailleurs, n’est pas nôtre, ni pour le plaisir de surprendre en contradictions flagrantes des intelligences fortes et étendues : c’est qu’une pensée aussi inexacte qu’elle est superficielle inspire toutes ces remarques. C’est l’idée que les superfluités du luxe chez les riches sont acquises aux dépens des nécessités du pauvre. Si l’on ne faisait pas de souliers fins, tout le monde pourrait avoir de bonnes chaussures : tous les hommes, chez les peuples civilisés, sont arrivés à ce dernier résultat, sans que la fabrication des bottines fines pour hommes et pour femmes ait le moins du monde diminué. Si, au lieu d’un milliard ou deux d’objets de luxe, on faisait un milliard ou deux d’objets communs et utiles, le monde n’en irait-il pas mieux ?
La question ne peut être ainsi posée. La conception de l’activité sociale, qui est au fond de ce raisonnement, se trouve complètement fausse. On considère l’activité sociale comme un tout une fois fixé : si l’on y dérobe 500 000 journées pour des superfluités, ces 500 000 journées manquent pour les nécessités. Cette conception est arbitraire. Il faut se demander si la capacité productive de l’homme, sa force d’invention, son énergie au travail, le