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ne donnerait pas de résultats supérieurs à la situation présente ; nous craignons que sous certains rapports elle n’amène un ordre de choses moins stable et moins avantageux. Mais ce n’est pas encore là, à nos yeux, l’argument capital qui doit faire écarter tout projet de rachat des chemins de fer. Le point de vue décisif en la matière est celui de nos finances publiques, pour lesquelles ce domaine des voies ferrées constitue une réserve considérable, la seule qui nous permette d’envisager sans trop d’effroi le total de notre budget et le fardeau de notre dette. Nous ne saurions trop insister sur ce côté de la question, que nous avons essayé de mettre en lumière à plusieurs reprises au cours de cette étude et qui a été beaucoup trop négligé chaque fois que la question a été l’objet d’un débat à la tribune ou dans la presse. Il est vrai que nous commençons seulement à nous rapprocher de l’époque à laquelle les concessions prendront fin et que ce n’est pas à notre génération qu’il sera donné d’assister à ce phénomène économique si remarquable : mais nos fils auront à en tenir compte dans leurs prévisions d’avenir et nos petits-fils le verront se réaliser[1]. Vers le milieu du XXe siècle la nation se trouvera mise en possession d’au moins 40 000 kilomètres de chemins de fer, représentant une valeur de 10 ou 15 milliards de francs, c’est-à- dire le tiers ou la moitié de notre dette publique[2].

  1. Alors s’appliquera l’article du cahier des charges qui stipule qu’à l’époque fixée pour l’expiration de la concession et par le seul fait de cette expiration, le gouvernement sera subrogé à tous les droits des compagnies sur les chemins de fer et leurs dépendances, et entrera immédiatement en jouissance de tous leurs produits.
    Les compagnies seront tenues de lui remettre en bon état d’entretien les chemins de fer et tous les immeubles qui en dépendent, quelle qu’en soit l’origine, tels que les bâtimens des gares et stations, les remises, ateliers et dépôts, les maisons de garde, etc. Il en sera de même de tous les objets immobiliers dépendant également dudit chemin, tels que les barrières et clôtures, les voies, changemens de voie, plaques tournantes, réservoirs d’eau, grues hydrauliques, machines fixes, etc.
    Dans les cinq dernières années qui précéderont le terme de la concession, le gouvernement aura le droit de saisir les revenus des chemins de fer et de les employer à rétablir en bon état les chemins de fer et leurs dépendances, si les compagnies ne se mettaient pas en mesure de satisfaire pleinement et entièrement à cette obligation.
    En ce qui concerne les objets mobiliers, tels que le matériel roulant, les matériaux, combustibles et approvisionnemens de tout genre, le mobilier des stations, l’outillage des ateliers et des gares, l’État sera tenu, si les compagnies le requièrent, de reprendre tous ces objets sur l’estimation qui en sera faite à dire d’experts, et réciproquement, si l’État le requiert, les compagnies seront tenues de les céder de la même manière.
  2. Au 31 décembre 1893, voici comment était évalué l’actif des six compagnies
    Est 2 280 millions.
    Midi 1 490 —
    Nord 1 550 —
    Orléans 2 050 —
    Ouest 1 700 —
    Paris-Lyon-Méditerranée 4 780 —
    Total 13 850 millions.

    Dans ce chiffre figurent les réserves, les approvisionnemens et le matériel roulant qui appartiennent en propre aux compagnies. Mais par contre, cinq d’entre elles ont au passif les centaines de millions dont elles sont redevables envers l’État pour les avances qu’il leur a faites en vertu de la garantie. Lors de l’expiration des concessions, cette créance de l’État sera compensée jusqu’à due concurrence avec la valeur du matériel et des approvisionnemens, qui lui reviendront ainsi sans qu’il ait bourse à délier. Il n’y a donc rien d’exagéré à évaluer l’actif des chemins de fer au point de vue de l’État on prenant les chiffres mêmes de leurs bilans tels que nous les avons reproduits.