Pendant l’hiver de 1828-1829, deux fois par semaine, à six heures et demie du matin, on voyait passer sur la place du Panthéon, venant de la rue de l’Arbalète et se dirigeant vers la rue Saint-Jacques, un jeune homme de petite taille, au visage rose encadré de longs cheveux déjà grisonnans, vêtu d’un frac noir, de culottes courtes, de bas de soie, et chaussé d’escarpins. Il ne paraissait pas se douter de la rigueur de la saison ; son regard ardent témoignait de la flamme intérieure qui animait ce corps frêle ; la pensée rayonnait de son large front et de ses yeux aux vifs éclairs; la parole semblait prête à sortir, vibrante et colorée, de sa bouche fine et mobile; son nez droit aux ailes frémissantes témoignait d’une sensibilité toujours en éveil. Il portait sous le bras quelques livres ou quelques cahiers, marchait vite, la tête haute, l’air animé et inspiré comme par un rêve intérieur, étranger aux choses qui l’entouraient, sauf lorsque la vue d’un cheval brutalisé par un charretier ou d’un chien martyrisé par des enfans lui causait un brusque sursaut et lui arrachait un cri d’indignation.
Ce jeune homme, dont l’apparence et l’allure révélaient la nature exceptionnelle, puissante et délicate à la fois, était Jules Michelet, professeur d’histoire de la petite princesse Louise, fille de la duchesse de Berry, et maître de conférences d’histoire et