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le christianisme était déjà tout entier dans l’hellénisme, il n’en est pas sorti. Là pourtant est toute la question, et quand on retrouverait l’un après l’autre, dans les Pensées de Marc-Aurèle ou dans le Manuel d’Epictète, les « membres épars » du Sermon sur la montagne ; quand l’inspiration stoïcienne, essentiellement aristocratique, ne serait pas, à vrai dire, le contraire de celle de l’Evangile ; il resterait encore, il restera toujours que le Sermon sur la montagne a conquis le monde, et que ni le Manuel ni les Pensées n’ont rien engendré. Après comme avant les travaux de nos hellénistes, il demeure dans le christianisme quelque chose d’inexplicable par l’hellénisme, une vertu singulière, une puissance unique de propagation et de vie ; — et c’est ce que confirment les travaux des hébraïsans.

Car eux aussi, les hébraïsans, ils nous avaient promis de dissiper ce qu’il y a d’ « irrationnel » et de « merveilleux » dans l’histoire des origines du christianisme ou dans celle du « peuple de Dieu ». Ils devaient nous montrer dans la Bible un livre comme un autre, — le Mahabahrata du sémitisme, l’Iliade ou l’Odyssée d’Israël ; — et il est vrai que jusqu’à ce jour tous les efforts de la philologie n’ont pu réussir à dater avec certitude ni l’Odyssée, ni le Mahabahrata ! Mais c’est surtout à l’occasion de la Bible que leurs systèmes, aussi nombreux qu’arbitraires, se sont heurtés les uns les autres, et qu’après avoir vainement tenté de les concilier sous la loi d’une indifférence voisine du scepticisme, ils ont dû reconnaître que leur érudition avait plutôt embrouillé ce qu’elle s’était flattée d’éclaircir. C’est ainsi qu’il n’y a pas moins de six ou sept opinions sur l’origine ou sur l’auteur du Pentateuque ; et que, s’il nous plaît d’en dater la composition du temps de Josué par exemple, ou de Saül, ou de David, ou de Salomon, ou de Josias, ou de la captivité de Babylone, ou d’Esdras, ou de Néhémias, ou des premiers Ptolémées, ou des Macchabées même, on le peut ; et les maîtres de la philologie moderne en fourniront les raisons qu’on voudra. Comptez encore ce qu’il y a de théories sur la date et sur l’auteur du quatrième Evangile ! Et, au bout de tout cela, quand on se demande quels sont enfin les résultats de cette débauche de critique, les fortes paroles de Bossuet sont encore celles qui reviennent invinciblement en mémoire : « Qu’on me dise s’il n’est pas constant que de toutes les versions et de tout le texte quel qu’il soit, il en reviendra toujours les mêmes lois, les mêmes miracles, les mêmes prédictions, la même suite d’histoire, le même corps de doctrine et enfin la même substance[1] ? » Il a

  1. Discours sur l’Histoire universelle, Part. II. ch. 28,