Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison ! même substance, et même « suite d’histoire » ! histoire unique, de l’aveu même d’un Renan ! substance irréductible ! Quoi que ce soit, il y a quelque chose dans l’histoire du « peuple de Dieu » qui ne se retrouve dans aucune autre. Quelque ambition qu’on ait affectée de la « rabattre, » pour ainsi parler, sur le plan des autres histoires, elle y a résisté, elle en a triomphé. Si par un détour imprévu d’elle-même, l’exégèse, un jour ou l’autre, se trouvait avoir ainsi confirmé ce qu’elle avait prétendu détruire, il ne faudrait pas s’en étonner, puisque après tout c’est aujourd’hui sa seule espérance de salut. Et ce qu’il faut dire en attendant, c’est que bien loin d’avoir expulsé de l’histoire du christianisme l’« irrationnel » ou le « merveilleux » elle les y a réintégrés, puisque, dans l’histoire même du bouddhisme, les analogies d’évolution qu’elle croyait avoir découvertes n’ont pas tenu devant un examen plus attentif et plus consciencieux.

Autre promesse encore, à laquelle ont manqué les orientalistes à leur tour. Les quelques ressemblances qu’on a signalées entre le bouddhisme et le christianisme, pour être d’ailleurs infiniment curieuses, ne sauraient en effet masquer la différence profonde, la différence intime qui les sépare ou qui les oppose. J’avoue d’ailleurs sans difficulté que, dans l’état présent de la science, on la sent, cette différence, plutôt qu’on ne saurait la définir. Si quelques-uns de nos orientalistes avaient eu plus d’ouverture ou de largeur d’esprit, s’ils ne s’étaient pas confinés dans de minutieuses études de textes, c’est eux assurément qui auraient été les plus dangereux adversaires du christianisme. Ils le seront peut-être un jour ! Mais, jusque-là, — comme les hébraïsans et comme les hellénistes, — ils n’ont apporté, eux troisièmes, qu’un élément de trouble dans la discussion, d’autres raisons de douter, non de croire, et des commencemens d’hypothèses plutôt que des solutions. Ne les a-t-on pas vus soutenir que Çakya-Mouni n’était peut-être qu’un « mythe solaire » ? et s’ils réussissaient, quelque jour, à le démontrer, que subsisterait-il de la comparaison qu’on a tenté si souvent d’établir entre Jésus et Bouddha ?

J’arrive enfin aux sciences historiques, — si ce sont des sciences, — et, comme les sciences naturelles, je ne puis in empêcher d’observer qu’elles nous ont appris assurément beaucoup de choses, mais aucune de celles que nous attendions de leurs progrès. Les rois de Rome ont-ils existé, par exemple, ou ne sont-ils, peut-être, eux aussi, que des « mythes solaires » ? Voilà sans doute ce qu’on appelle une « jolie question » ; mais, à vrai dire, que nous importe ? et quel intérêt a-t-elle bien de soi ? La grande question est ici de savoir s’il existe une loi de l’histoire, et dans