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contenu de sa loi, puisque au contraire c’est achever de devenir soi-même. On ne l’avait pas oublié, mais d’autres soucis, plus pressans, — et notamment celui de soutenir et de repousser l’assaut de la science laïque, —avaient surtout préoccupé les prédécesseurs de Léon XIII. Autres temps, autres soins ! Qui se détacherait aujourd’hui de la communion de l’Eglise pour des « raisons philologiques » ? Et, d’un autre côté, si l’impuissance de la science physique ou naturelle à supprimer le « mystère » est prouvée, remontons donc maintenant à la source. Invoquons l’esprit de conciliation et de paix. Libres et dégagés des nécessités d’une lutte qui avait réclamé jusqu’ici toute notre activité, ne prolongeons pas d’inutiles controverses. Et après avoir prouvé la vérité ou la « divinité » de la religion par la continuité de son dogme immuable, prouvons-la maintenant par le bien qu’elle peut faire encore à ce monde inquiet et troublé.

C’est ainsi, ou à peu près, que l’on peut essayer de se représenter les intentions du pape Léon XIII, et il semble que, depuis dix-sept ans, tous ses actes comme toutes ses paroles aient tendu à ce grand dessein. Certes, il n’a rien abandonné ni des droits de l’Eglise ni de l’autorité du dogme, le pontife qui a écrit les mémorables Encycliques du 28 décembre 1878, sur les Erreurs modernes ; et du 11 août 1879, sur la Philosophie chrétienne ; et du 10 février 1880, sur le Mariage chrétien. Même, la seconde a scandalisé tous ceux à qui sans doute elle apprenait pour la première fois que saint Thomas est un des beaux génies dont se puisse honorer l’histoire de la pensée humaine. Mais, en proclamant l’indépendance de l’Eglise à l’égard des formes de gouvernement ; comme en s’occupant des questions ouvrières avec une sollicitude particulièrement active ; et comme en travaillant à préparer dans un lointain avenir la réconciliation en une des diverses communions chrétiennes ; il a fait trois grandes choses, — dont la première conséquence a été de rendre au catholicisme, et généralement à la religion, leur part d’action sociale.


Les catholiques, — écrivait-il dans son Encyclique sur l’origine du pouvoir civil, du 29 juin 1881, — vont chercher en Dieu le droit de commander, et le font dériver de là comme de sa source naturelle, et de son principe nécessaire… Toutefois, il importe de remarquer ici que, s’il s’agit de désigner ceux qui doivent gouverner la chose publique, cette désignation pourra, dans certains cas, être laissée au choix et au jugement du plus grand nombre, judicio multitudinis, sans que la doctrine catholique y fasse le moindre obstacle, non adversante neque repugnante doctrina catholica… Il n’est pas question davantage des différens régimes politiques, et il n’existe pour l’Église aucune raison de ne pas approuver le gouvernement d’un seul ou celui de plusieurs, pourvu seulement qu’il soit juste et qu’il s’applique