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et déjà son active imagination voyait s’ouvrir les perspectives de l’Encyclique du 20 juin 1894 sur l’Unité catholique :


Pendant que notre esprit s’attache à ces pensées. — de réconciliation des Églises protestantes et des Églises orientales avec l’Église latine, — et que notre cœur en appelle de tous ses vœux la réalisation, nous voyons là-bas, dans le lointain de l’avenir, se dérouler un nouvel ordre de choses, et nous ne connaissons rien de plus doux que la contemplation des immenses bienfaits qui en seraient le résultat naturel. L’esprit peut à peine concevoir le souffle puissant qui saisirait soudain toutes les nations, alors que la paix et la tranquillité seraient bien assises ; que les lettres seraient favorisées dans leurs progrès ; et que parmi les agriculteurs, les ouvriers, les industriels, il se fonderait sur les bases chrétiennes que nous avons indiquées de nouvelles sociétés capables de réprimer l’usure, et d’élargir le champ des travaux utiles, quarum ope vorax reprimatur usura, et utilium laborum campus dilatetur.


Et, dans un autre endroit :


Nous n’ignorons pas ce que demande de longs et pénibles travaux l’ordre de choses dont nous voudrions la restauration, et plus d’un pensera peut-être que nous donnons trop à l’espérance… Mais nous supplions les princes et les gouvernans, au nom de leur clairvoyance politique et de leur sollicitude pour les intérêts de leurs peuples, de vouloir équitablement apprécier nos desseins et les seconder de leur autorité… Le siècle dernier laissa l’Europe fatiguée de ses désastres, tremblante encore des convulsions qui l’avaient agitée. Le siècle qui marche à sa fin ne pourrait-il pas, en retour, transmettre comme un héritage, au genre humain, quelques gages de concorde, et l’espérance des grands bienfaits que promet l’unité de la foi chrétienne ?


Ce sont là de nobles paroles, dont la noblesse n’est égalée que par la sincérité de l’émotion qui les anime, et certes aucun rêve, — si les expressions du Saint-Père lui-même nous autorisent peut-être à nous servir de ce mot, — ou aucune espérance ne saurait mieux convenir et aux aspirations de cette lin de siècle, et au caractère de l’illustre vieillard qui gouverne à peu près souverainement la croyance de 200 millions d’hommes. Il a compris ce que l’on attendait du plus grand pouvoir moral qui soit parmi les hommes, et le plus ancien. Résolument, il a lancé la barque de saint Pierre sur la mer orageuse du siècle, et ni l’impétuosité des vents, ni le tumulte des flots, ni la clameur même des passagers effrayés de sa tranquille audace ne l’ont un seul jour détourné de son but. Et si d’ailleurs il ne l’atteignait pas, si cette Providence, dont il ne se regarde que comme l’instrument, ne lui permettait pas de l’atteindre, il n’en aurait pas moins l’impérissable honneur de se l’être à lui-même marqué.