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L’avenir lui saura surtout gré de s’être souvenu que le christianisme a commencé par être une religion de pauvres, et que, selon l’insolente et cruelle expression de Voltaire « la plus vile canaille l’avait seule embrassée pendant plus de cent ans ». Je crains bien que Renan ne voulût dire plus élégamment, et moins franchement, la même chose, quand il nous avertissait de ne pas nous représenter les voyages de Paul et de Barnabé comme ceux « d’un Livingstone… ou d’un François Xavier » mais plutôt « comme ceux d’ouvriers socialistes répandant leurs idées de cabaret en cabaret ». Et sans doute il s’est applaudi d’avoir trouvé ce « cabaret » ! Differantur isti superbi, aliqua soliditate sanandi sunt. L’Évangile ne rebute point les grands, ni les puissans, ni les sages ; il ne les rejette pas ; mais il les « diffère. » Si c’est justement l’honneur du christianisme, si ç’a été sa force à ses débuts, si peut-être il n’a pas donné de signe plus éclatant ni de preuve plus convaincante de sa mission, que de s’être adressé d’abord aux humbles de ce monde, là aussi est son avenir et, pour ainsi parler, dans la société que nous a faite la philosophie du siècle dernier, là est sa promesse d’éternité. Aucun pontife ne l’a mieux senti que le Pape Léon XIII, et, l’ayant senti, ne l’a dit avec plus d’abondance de cœur et d’ardeur de persuasion. Aucun ne l’a redit avec plus d’insistance. Et aucun surtout, en enseignant à ceux qui peinent l’inutilité de la violence ou de la révolte, et aux heureux du jour ce que leurs obligations envers leurs « frères » ont d’impérieux et d’absolu, ne l’a fait avec un plus vif sentiment de la fraternité humaine, de l’égalité chrétienne, et de la liberté apostolique.


III

Nous, cependant, que ferons-nous ? Évidemment nous ne sacrifierons ni la science, et encore bien moins l’indépendance de notre pensée. Si nous n’admettons pas que la science puisse jamais remplacer la religion, — et nous en sommes convenus peut-être avec assez de franchise, — nous n’admettrons pas non plus qu’on oppose la religion à la science. L’Église aussi bien ne le demande à personne ; et pourquoi le demanderait-elle, si ce n’est pas elle, mais si ce sont, comme on l’a vu, les Haeckel et les Renan, qui dans le récit biblique de la création, par exemple, ont reconnu le plus pur esprit de la doctrine évolutive ? J’ajoute que l’impuissance radicale de la science à résoudre les questions d’origine et de fin semble avoir désormais opéré la séparation du domaine respectif de la certitude « scientifique », et de la certitude « inspirée ». Tenons-le donc pour dûment acquis : la physique ne peut