Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour lui, mais une religion n’est pas une philosophie, et il faut reconnaître que le catholicisme a pour lui « la logique ».

Et il a enfin de n’être pas seulement une « théologie » ou une « psychologie » mais une « sociologie » si je l’ose ainsi dire, et c’est là, sachons-le bien, à l’heure critique où nous sommes, son plus grand avantage. Essayez en effet d’atteindre et de définir l’essence du protestantisme : c’est le salut individuel qui est sa grande affaire. Le pêcheur s’y confond, il s’y abîme, et pour parler comme Luther, il s’y « engloutit » dans la conscience de son indignité, dans la terreur de son juge, dans l’effroi de la damnation. « Les moindres manquemens lui semblent des crimes », n’y ayant « indulgences » ni « œuvres » qui puissent les réparer. La préoccupation même de la foi détruit ainsi l’espérance en son cœur, et dans le naufrage de l’espérance sombre à son tour la charité. Comment en effet s’occuperait-on des autres, quand on est à ce point inquiet de soi-même, et d’autant plus inquiet que la conscience est justement plus scrupuleuse ou plus farouche ?[1] Mais, dans le catholicisme, — à quelque monstrueux abus que la doctrine des indulgences et des œuvres ait pu donner lieu quelquefois, — il suffit de la ramener à son premier principe pour en apercevoir clairement la fécondité sociale. Les mérites des uns « s’appliquent » au salut des autres. La carmélite aux pieds nus qui pleure dans son cloître sur les péchés du mondain, les efface. Le moine qui s’en va mendiant sur les routes rachète la femme adultère au prix des humiliations qu’il essuie. Il s’établit ainsi, dans la société catholique idéale, une circulation de perpétuelle charité. Les vivans y prient pour les morts, les morts y intercèdent pour les vivans. Une justice plus clémente, un Dieu plus tendre à la faiblesse humaine y accorde aux élus la grâce des réprouvés. Et du centre à la circonférence de ce cercle infini, où l’humanité se trouve enveloppée tout entière, il n’est personne en qui ne retentissent, pour le désoler, les péchés, mais aussitôt, et pour le consoler, les mérites aussi des autres…

Est-ce à dire que nous puissions attendre du « catholicisme », ou, en général, de la « religion » ce que depuis trois ou quatre cents ans nous avons vainement attendu de la « science » ? Nous ne le pourrions, en tout cas, que dans la mesure où nous aurions la « foi » ; — qui est la chose qu’on ne se donne point. Mais, dans toutes les affaires de ce monde, comme il y a des temps de parler, il y en a de se taire, et d’autre part, pour le moment, je ne vois pas ce que nous objecterions bien à la doctrine

  1. Voyez Taine, Littérature anglaise ; t. II, la Renaissance chrétienne.