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catholique sur la séparation des « sciences morales » par exemple, et des « sciences naturelles ». Ç’a été la chimère de Taine, on le sait, que de vouloir à tout prix, comme il disait, les « souder » les unes aux autres, et rien n’est plus laborieux, ni plus triste en un sens, dans ses derniers écrits, que la peine qu’il se donne pour se persuader à lui-même qu’il y a réussi. Mais quand tous nos instincts seraient en nous d’origine purement animale, — ce que d’ailleurs on peut refuser absolument d’admettre, — ils ne laisseraient pas de différer étrangement d’eux-mêmes, depuis six mille ans que l’objet de la civilisation a été de nous soustraire aux servitudes de la nature. Nous n’en formerions pas moins dans l’univers, en dépit de Spinosa, comme un « empire dans un empire ». Et ce nouveau déterminisme, ce déterminisme moral, étant la condition de l’humanité, n’aurait rien de commun avec celui qui « conditionne » les phénomènes des sciences physiques et naturelles. On a reproché jadis au spiritualisme officiel, — celui de Cousin et de Jouffroy, — qu’il voulait partout et à tout prix mettre de la morale. Si le positivisme contemporain est tombé dans l’excès contraire, et s’il a prétendu, lui, traiter la morale comme il faisait la physiologie, il ne s’est pas moins écarté du vrai but. Rien ne l’autorisait à opérer cette confusion, qui a eu pour premier effet de placer la moralité sous la dépendance du savoir. C’est un premier point dont nous pouvons convenir avec l’enseignement de l’Eglise ; — et je n’ai pas besoin d’en montrer l’importance.

En voici un second. L’erreur peut-être la plus grave que la philosophie du dernier siècle ait commise, — en la personne de Diderot autant ou plus que de Rousseau, — c’est d’avoir substitué le dogme de la bonté naturelle de l’homme à celui de sa perversité foncière. Ici ou ailleurs, j’ai tâché plusieurs fois de montrer ce qu’un sceptique tel que Bayle, qu’on n’accusera pas de timidité d’esprit, appelait « la nécessité d’un principe réprimant ». Si la nature est immorale, elle l’est en nous comme en dehors de nous. Nous, qui le croyons d’une certitude absolue, comment donc serions-nous étonnés ou choqués de ces paroles de l’Encyclique Humanum Genus. « La nature humaine ayant été viciée par le péché originel, et à cause de cela étant devenue beaucoup plus disposée au vice qu’à la vertu, l’honnêteté est impossible si l’on ne réprime pas les mouvemens tumultueux de l’âme et qu’on ne place pas les appétits sous l’empire de la raison… Mais les naturalistes nient que le père du genre humain ait péché, et par conséquent que les forces du libre arbitre soient en aucune façon débilitées ou inclinées vers le mal. Tout au contraire, ils exagèrent la