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transforme en une question morale. Car on voit la conséquence, et qu’au lieu d’en chercher la solution dans les analogies de l’histoire naturelle, comme font nos sociologues ; ou dans l’extension tyrannique des pouvoirs de l’Etat, comme font les socialistes ; ou dans la destruction de toute société, comme les anarchistes, on ne la trouvera pas non plus, cette solution chimérique, mais on n’en approchera qu’en la demandant à la morale de l’effort individuel !


La conclusion est évidente. Lorsque l’on tombe d’accord de trois ou quatre points de cette importance, il n’y a pas même besoin de discuter les conditions, ou les termes, d’une entente ; — et elle est faite. Si les bonnes volontés conjurées et continuées de plusieurs générations d’hommes ne suffiront certainement pas pour mettre ces trois ou quatre points hors de doute, ce serait une espèce de crime, et, en tout cas, la plus impardonnable sottise que d’essayer de diviser ces bonnes volontés contre elles-mêmes, ou de les dissocier, pour des raisons d’exégèse et de géologie. Supposé d’ailleurs que le progrès social fût au prix d’un sacrifice passager, qui ne coûterait rien à notre indépendance non plus qu’à notre dignité, mais seulement quelque chose à notre vanité, l’hésitation ne serait pas permise. Il faut vivre d’abord, et la vie n’est pas contemplation ni spéculation, mais action. Le malade se moque des règles, pourvu qu’on le guérisse. Lorsque la maison brûle, il n’est question pour tous ceux qui l’habitent que d’éteindre le feu. Ou si l’on veut encore quelque comparaison plus noble à la fois et peut-être plus vraie, ce n’est ni le temps ni le lieu d’opposer le caprice de l’individu aux droits de la communauté, — quand on est sur le champ de bataille.


FERDINAND BRUNETIERE.