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tant de territoires à faire fructifier, l’ancien Comptoir d’Escompte avait jeté les fondemens de postes avancés, que le directeur du Comptoir actuel, M. Rostang, servi par sa propre expérience, a su fortifier et accroître.

On ne connaissait jadis, dans tout l’extrême-Orient, d’autre étalon international que la livre sterling. Le Comptoir a permis de tirer sur Paris et a diminué l’usance, le délai, des traites sur l’Europe. Seule maison française établie en Chine, il fait à Shanghaï des opérations sur les soies destinées à Lyon et possède à Han-Kou, pendant la saison du thé, la clientèle presque exclusive des grands exportateurs russes. Nos relations avec les indigènes, qui s’étendent sans cesse par le trafic, exigent de gros capitaux, beaucoup de finesse, — très avisés, les Chinois cherchent à profiter des rivalités politiques entre Occidentaux pour les induire à traiter des affaires à perte, — et souvent une bonne dose d’énergie. M. Vouillemont, directeur de l’agence de Shanghaï, victime d’un vol concerté entre son caissier et son comptable, deux natifs, n’hésite pas à fréter un vapeur pour courir après les coupables, qui s’étaient sauvés dans une grande barque. Il les rejoint en pleine mer, et, lorsqu’il aborde leur bateau, il aperçoit, gisant au fond, à côté de son coffre, les corps des deux fugitifs, qui, désespérés, venaient de se donner la mort.

Il n’est pas mauvais, dans ces régions, de faire ainsi sa police soi-même. A Madagascar, le seul moyen efficace pour obtenir paiement d’un mauvais débiteur est de l’enfermer chez soi et de le priver de nourriture. L’histoire des agences du Comptoir d’Escompte à Tananarive et à Tamatave, chargées depuis 1886 d’encaisser les intérêts de l’emprunt de 15 millions fait par le gouvernement malgache, c’est l’histoire même de nos rapports avec les Hovas durant les huit dernières années. Chaque lettre des directeurs de ces agences, adressée au siège social de Paris, apportait le récit de quelque nouveau tour joué par ce premier ministre, qui ne recule devant aucune audace, y compris celle d’épouser successivement trois reines, dont les deux dernières à la fleur de l’âge, quoiqu’il ait lui-même 65 ans. Un négociant du pays, jouissant d’une fortune considérable, jugea l’an dernier avantageux de faire banqueroute. Des fonctionnaires malgaches se mirent à son service et l’aidèrent à soustraire à ses créanciers la totalité de son actif. Le premier ministre, pressé par notre résident général et sur les plaintes réitérées des agens du Comptoir, consentit enfin à ordonner une enquête… et en chargea précisément les fonctionnaires complices du voleur ! On apprendra sans étonnement que J’enquête n’aboutit pas.