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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/188

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recommencer et les remplacer par d’autres, leur système est encore le plus avantageux : la plus-value qui résulte pour la colonie de l’exécution rapide des premiers travaux est évidemment inestimable au point de vue politique ; quant au point de vue économique, on arrive, disent-ils, à amortir en peu d’années le capital dépensé.

L’expérience paraît leur avoir donné raison, et la marche de la conquête comme celle de la colonisation ont été accélérées dans des proportions considérables. Cette méthode a conduit le Turkestan à être couvert eu très peu de temps d’un réseau d’ouvrages d’art qui ne sont pas tous très soignés dans le détail et qui n’ont pas l’aspect élégant et agréable de ceux qu’exécutent nos ingénieurs français ; mais ils ont un grand avantage, c’est de remplir leur but.

Au Turkestan, ce qui est particulier et presque unique dans l’histoire des colonies modernes, c’est que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont été laissés par les conquérans aux mains des indigènes. Nous chercherions en vain à faire rien d’analogue en Algérie, où les aptitudes nécessaires manquent absolument chez la race vaincue. Mais peut-être pourrons-nous puiser pour l’Indo-Chine, par exemple, d’utiles enseignemens dans ce qui s’est passé au Turkestan. La Russie a trouvé dans la population sarte une admirable matière coloniale, pour emprunter une expression au langage militaire moderne. Les Sartes, race hybride, mélange d’Iraniens et de Mongols, doivent certainement à leur parenté avec la race jaune des qualités de patience, de résistance, de sobriété et d’économie qui en font d’excellens sujets pour leurs conquérans et qui leur donnent même une incontestable supériorité sur les colons russes. Aussi le gouvernement impérial a-t-il pu faire d’eux ce que nous essayerions en vain de faire des Arabes algériens ou même des Kabyles tant vantés. Il n’a eu qu’à leur assurer par une bonne administration la sécurité de leurs personnes et de leurs biens pour voir se développer dans des proportions inouïes la richesse de la région. Le grand obstacle à la prospérité économique du pays, c’était surtout le suivant : jadis, dès qu’un Sarte était arrivé, par le négoce, l’agriculture, ou quelque autre moyen, à s’enrichir, il risquait d’être dépouillé par ses chefs hiérarchiques ou même par les simples employés de ceux-ci. Trop heureux quand il en était quitte pour la perte de son argent et qu’il n’y allait pas pour lui de la prison perpétuelle ou de la perte de sa vie. Et Dieu sait ce qu’était le régime des prisons de ces contrées : les voyageurs nous ont laissé la description du fameux trou aux punaises de Boukkara, ainsi nommé à cause d’une espèce d’arachnide très venimeuse, appartenant au genre Argas, qui y