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pullulait et à qui son corps aplati donne une vague ressemblance avec nos punaises. Pour être précipité vivant dans ce cloaque, le fait de posséder des économies étaient un titre plus valable que celui de malfaiteur. L’administration russe, méticuleuse peut-être, tracassière quelquefois, mais humaine, a été pour ces pays un incontestable bienfait. Jamais, à aucune époque de l’histoire, les Sartes n’ont connu un aussi bon gouvernement. L’état économique de la contrée s’en est vite ressenti.

Si les Russes se sont montrés infiniment supérieurs aux anciens possesseurs du pays comme administrateurs, il n’en a pas été de même, avouons-le, quand ils ont voulu fournir à cette région des agriculteurs, des commerçans ou des colons. Les paysans russes, ivrognes, paresseux et maladroits, n’ont pu songer à se maintenir au milieu des agriculteurs sartes, habiles aux irrigations, patiens et laborieux quand il s’agit de remuer profondément le lœss, cette terre jaune si fertile qui fait la richesse de la Tartarie et de la Chine tout entière. A l’heure qu’il est, il n’existe peut-être pas un seul cultivateur russe dans tout le Turkestan sarte : tous se sont portés plus au nord-est, dans la steppe sibérienne, où nulle concurrence n’était à craindre. Le gouvernement nouveau, bien loin de comprimer les indigènes, a eu la sagesse de les encourager, se bornant à les diriger et à en faire d’utiles instruments.

Au point de vue commercial, des faits analogues se sont produits. Des commerçans et des industriels russes sont venus s’établir dans le pays. Mais même pour la vente des objets européens, c’est-à-dire sur leur propre terrain, ils ont été bientôt distancés par les Sartes. Le marchand russe, au Turkestan, est intempérant, négligent, et dépourvu de toute aptitude commerciale. Son magasin, rarement ouvert, est encombré d’une quantité excessive de marchandises toujours achetées à crédit et sur lesquelles il exige des acheteurs un bénéfice démesuré : aussi vend-il peu, ce qui l’oblige à vendre d’autant plus cher. Le Sarte, au contraire, actif, économe, complaisant, sobre de par l’Islam, se contente d’un bénéfice modique sur le prix de revient de son petit fonds, très souvent renouvelé. Aussi les nouveaux venus ont-ils dû baisser pavillon devant leurs confrères asiatiques.

Dans ces conditions, on comprend que le mode d’administration de l’Asie centrale ne soit pas absolument comparable à celui de l’Algérie.

Ces aptitudes colonisatrices et commerciales ne se rencontrent que chez les Sartes, c’est-à-dire chez les sédentaires ; pour les nomades, c’est une autre organisation qui a dû être appliquée. Ceux-ci, les Kirghiz surtout, ne sont nullement cultivateurs ; ils le sont