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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/196

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français : il est juste de le reconnaître, difficile de le dire d’un vivant, et pénible de le faire entendre à beaucoup de contemporains, qui n’aiment l’ombrage des grands chênes prochains qu’à l’heure où ils peuvent mesurer l’arbre abattu sur le sol.

Je me félicite enfin, et c’est là que j’en voulais venir, d’être plus que jamais d’accord avec M. Jules Lemaître sur sa conclusion dernière. Il terminait son article en prophétisant une réaction imminente du génie latin. Sa prophétie est déjà plus qu’à demi accomplie, si je ne me trompe. Essayons de lui en apporter une preuve ; avec cette restriction qu’il y a renaissance et non pas réaction contre le Nord. Hélas ! on fait rarement un heureux complet. Nous sommes bien obligés de constater, par les aveux mêmes du porte-bannière de cette renaissance, que le plus latin des génies latins a été gravement influencé et foncièrement modifié par « les littératures du Nord ».


I

Nos voisins d’outre-monts ne se forma Useront pas d’une vérité d’évidence, si l’on dit qu’ils viennent de traverser un demi-siècle d’une rare stérilité littéraire. Lamartine ne leur rendait pas justice quand, sur la cendre encore chaude d’Alfieri, en face de Leopardi, de Manzoni, d’Ugo Foscolo, de Silvio Pellico, il écrivait la fameuse imprécation du Pèlerinage d’Harold qui lui attira un cartel du général Pepe :


Monument écroulé, que l’écho seul habite,
Poussière du passé, qu’un vent stérile agite !
……
Je vais chercher ailleurs (pardonne, ombre romaine ! )
Des hommes, et non pas de la poussière humaine !


À cette primevère du siècle, sur la belle terre piétinée qui enfantait douloureusement des libérateurs, il sembla que les premiers vagissemens de la liberté eussent réveillé les sources endormies de la poésie et de l’art. L’aube était pleine de promesses : le jour qu’elle annonçait ne se leva pas. Tout occupée de refaire son unité nationale, l’Italie parut se désintéresser des efforts intellectuels de notre temps ; à partir de 1830, ses rêves ne trouvèrent plus d’expression sonore, ils rentrèrent sous terre avec les complots de ses carbonari. La société de la Chartreuse de Parme aimait, flânait, conspirait ; elle n’écrivait ni ne lisait, ou si elle lisait, c’était les romans français que l’on traduisait pour la sœur latine.

La stagnation dura jusqu’à l’achèvement de l’unité, en 1870.