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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/198

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complaisance à ce jugement, tout en faisant remarquer que ses juvenilia lascifs étaient « d’une impeccable prosodie. » Un art exquis et une sensualité féroce se révélaient dans ces pièces : Animal triste, l’Invocation à l’Hermaphrodite, le Péché de Mai, la Treizième fatigue d’Hercule, les Adultères. Cette dernière série de sonnets nous reporte invinciblement à une salle du Vatican, où je gagerais volontiers que le poète a rencontré son thème, à ce cabinet des peintures antiques retrouvées dans le Tibre, qui rendent avec une intensité poignante l’obsession tragique des grandes incestueuses, Myrrha, Pasiphaë, Phèdre et leurs sœurs. Ces images pourraient illustrer les sonnets, tant le vieux et le jeune latin ont donné la même note avec des moyens d’art différens.

Je crains de me faire mal comprendre ici et dans ce qui me reste à dire, si je laisse un instant supposer que la poésie de M. d’Annunzio est polissonne et grivoise. Imaginez du Baudelaire plus chaud, aussi grave, moins mystique ; une impudeur effrénée, jamais vulgaire, et qui se fait pardonner par un accent d’antiquité si naturel, si peu suspect de pastiche, que ces pages semblent purifiées par un recul de vingt siècles, arrachées de quelque anthologie où elles reposaient entre les élégies de Tibulle et les Tristes d’Ovide. La passion y est située en pleine nature, intimement incorporée à la terre, subordonnée aux ardeurs ou aux langueurs des choses que les aveugles et les sourds appellent choses inanimées. L’amant n’oublie jamais le rêve d’art où il vit, ses yeux admira tifs sont toujours ouverts sur les moindres nuances de la grande palette, ses oreilles toujours attentives aux moindres murmures de la grande lyre. Il varie ses procédés. Tel sonnet de beauté plastique ne serait pas désavoué par M. de Heredia : on jurerait que M. d’Annunzio est de ses disciples, si la date n’écartait pas jusqu’à la possibilité d’une communication entre l’adolescent qui vivait à Rome et notre poète qui n’avait rien publié. Je traduis ici une des pièces de cet ordre : on y saisira la ressemblance frappante entre les deux artistes, rien de plus ; je ne me dissimule pas la vanité de tout effort pour transposer la musique verbale d’un poète dans une prose étrangère.


Artifex gloriosus.

A moi aussi l’or, comme à Benvenuto, — est esclave. Demande ! qu’ils soient divins ou humains, — tes songes, de dessous mes mains — invincibles le vase sortira parfait.

Veux-tu que de l’anse le Faune bicornu — guide un chœur de Nymphes et de Silvains — sur la panse ? Ou veux-tu la guerre des Titans — qui mettra son vacarme sur le métal muet ?