Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des monarchies, personne n’était assuré du lendemain : de quoi peut-on être sûr quand c’est le caprice qui gouverne ? Dorénavant il fallait s’attendre à tout, renoncer à rien prévoir, et on se dit : « Et après ? qu’arrivera-t-il demain ? » Aussi, quelles que fussent ses qualités personnelles, le successeur du comte de Caprivi a-t-il été froidement accueilli. On le regarde comme un chancelier provisoire, qui fait l’intérim, et on se tourmente pour deviner quel heureux mortel le chassera à son tour de la table de jeu.

Au surplus, le prince Hohenlohe a débuté dans de fâcheuses conditions. Il a dû présenter un projet de loi contre les menées subversives, et un article de ce projet porte que ceux qui auront allégué des faits de nature à jeter le discrédit sur les institutions de l’État ou attaqué publiquement et injurieusement la religion, la monarchie, le mariage, la famille ou la propriété, seront passibles d’une amende de 500 marks et de deux ans de prison. Ce texte manque de netteté ; si on ne le corrigeait pas, tel philosophe, qui n’est point un anarchiste, risquerait de faire son temps de prison ; rien n’est plus vague qu’un délit d’injure contre les choses. Le prince Hohenlohe a été chargé aussi de demander au Reichstag l’autorisation de poursuivre les députés socialistes qui ne se sont point levés quand le président du Reichstag a poussé le cri de : Vive l’empereur ! Cette autorisation a été refusée à une forte majorité. Le gouvernement a-t-il l’intention de chercher querelle au Parlement, de brouiller les caries, de susciter un conflit ? On l’en soupçonne ; on estime que désormais tout est possible, qu’il faut compter avec les sautes de vent, et qu’elles causent quelquefois des avaries considérables.

Il est des temps où un peuple est affamé d’événemens et de spectacles nouveaux ; il en est d’autres où il ne demande qu’à vivre en paix, à vaquer à ses petites affaires, pendant que là-bas, dans l’extrême Orientées Chinois et les Japonais se chamaillent et se gouraient. Sans doute beaucoup d’Allemands se disent aujourd’hui comme le bourgeois de Goethe :


Nein, er gefällt mir nicht, der neue Burgermeister


« Non, il ne nous plaît guère, le nouveau bourgmestre. Depuis qu’il est en charge, il devient chaque jour plus cassant, et nous devons obéir plus que jamais et, d’année en année, payer davantage. »


G. VALBERT.