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quelques résolutions à la torpeur habituelle du souverain. Nul n’avait insisté davantage pour que l’empereur renonçât à commander l’armée de Metz. Il voulait que Napoléon III cessât de faire le général et redevînt chef d’Etat. La pensée de mettre fin au pouvoir de l’impératrice, qu’il n’aimait guère et qui le lui rendait, ajoutait le charme d’une petite représaille aux grandes raisons d’intérêt public. Mais comment opérer ce changement ? Il y songeait quand il apprit que le jour même arrivaient au camp Trochu pour former son corps d’armée, et Mac-Mahon pour refaire le sien. Il considéra que la destinée les amenait à l’heure dite pour résoudre à la fois toutes les difficultés.

Le lendemain matin 17, Mac-Mahon et Trochu furent avertis que l’empereur les attendait à son quartier général. Ils s’y rendirent, Trochu accompagné des généraux Schmitz, son chef d’état-major, et Berthaud, commandant des mobiles parisiens. Le prince Napoléon, qui avait provoqué cette conférence, y prit la parole avec sa netteté accoutumée. L’empereur, exposa-t-il, a abandonné le gouvernement pour conduire la guerre. Il est temps qu’il cesse de commander les armées. Il doit achever ici ce qu’il a commencé à Metz. Il a remis au maréchal Bazaine l’armée du Rhin ; il lui reste à donner un chef à l’armée de Châlons. Le maréchal Mac-Mahon semble désigné pour ce choix. Mais, si l’empereur ne commande plus, il n’a, hors des armées, de place que sur son trône, et l’on ne peut gouverner la France que de Paris. Sans doute à Paris sont les adversaires les plus nombreux et les plus exaltés de l’empire, et le retour de l’empereur n’est pas sans péril. Il importe donc que l’empereur ne rentre dans sa capitale qu’avec une force capable de le défendre. Cette force, un homme plus que personne la possède aujourd’hui ; le général Trochu a à la fois la confiance des troupes et la faveur de l’opinion. Que l’empereur, sûr de sa loyauté, le nomme gouverneur de Paris et le suive. Et le prince laissait entendre que, si les Parisiens apprenaient à la fois l’arrivée du souverain vaincu et celle du général populaire, ils se résigneraient à la mauvaise nouvelle en faveur de la bonne. D’ailleurs l’empereur serait lui-même suivi des armées qui avaient maintenant pour objectif la défense de la capitale, et qui la défendraient au besoin contre les ennemis du dedans.

Tout le monde avait écouté en silence. L’empereur seul, au moment où lui était peinte l’étrangeté d’une situation qui ne lui laissait ni l’autorité militaire ni l’autorité politique, avait murmuré doucement : « C’est vrai, j’ai l’air d’avoir abdiqué. » L’exposé achevé, il demanda leur avis aux deux hommes dont le