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conseil des ministres. Il fallut que le prince Napoléon fit mine de s’irriter, et poursuivît de retraite en retraite cette résolution qui se dérobait. N’était-il plus empereur ? Il s’agissait de prendre la conduite des événemens au lieu de leur remorque, et il n’y avait que trop de temps perdu. Il fallait que le souverain fût le lendemain à Paris, pour cela que le général Trochu l’y précédât sur l’heure ; porteur des décrets, le nouveau gouverneur les ferait contresigner par les ministres. Après quoi il emmena le général Schmitz, lui dicta les décrets, les présenta tout rédigés à l’empereur, qui mit au bas son nom. Le général Trochu les reçut et partit avec le mandat d’en assurer l’exécution.

A minuit il arrivait à Paris. Il se rendit chez le ministre de l’intérieur et demanda, pour les pièces dont il était porteur, le contreseing et une publication immédiate. M. Chevreau estima que le contreseing de résolutions militaires appartenait au ministre de la guerre, qu’elles étaient d’ailleurs d’importance à être communiquées d’abord à la régente ; il résolut donc de les lui soumettre sans délai et, accompagné du général, partit pour les Tuileries à une heure du matin.

L’impératrice était déjà avertie, et déjà s’était prononcée sur le projet qu’il croyait lui apprendre. Instruite par une communication de l’empereur, elle avait aussitôt confié la nouvelle à Montauban, et dans la soirée, tandis que le ministre, par une dépêche où il se disait d’accord avec la souveraine, suppliait l’empereur de renoncer à ce retour, l’impératrice avait parlé elle-même. Elle devina qui venait d’inspirer à Napoléon III cet accès d’énergie, et son hostilité contre le conseil s’exaltant de son antipathie contre le conseiller, elle avait écrit : « N’oubliez pas combien son départ de l’armée en Crimée a pesé sur toute la carrière du prince Napoléon. » Cruelle et habile riposte, qui égarait une question de politique dans une question d’honneur et d’un seul coup frappait au point sensible deux hommes, puisqu’elle sommait le courage de l’un et niait celui de l’autre.

Aussi croyait-elle le péril conjuré quand il lui apparut, déjà immédiat et victorieux, en la personne de Trochu. Elle ne dissimula, dès les premières paroles, ni son irritation ni sa résistance : « Les ennemis de l’empereur, dit-elle, ont seuls pu lui conseiller le retour à Paris. Il n’y rentrerait pas vivant. » Lorsque le général lui soumit sa proclamation, rédigée en route et commençant ainsi : « L’empereur que je précède »… elle exigea la suppression de ces mots. Satisfaite sur ce point essentiel, elle ne s’opposait pas à ce que les autres mesures fussent présentées au visa de Montauban,