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prince de Saxe, devinrent une quatrième armée. Elle aussi devait par Verdun marcher sur Paris, et se reliant à celle du prince royal chercher et détruire au passage les corps français qui ne s’étaient pas jetés dans Metz et que les Allemands soupçonnaient de se reformer à Châlons. Les deux armées s’ébranlèrent aussitôt. Leur ordre de marche suffisait à indiquer qu’elles ne tenaient pas l’ennemi pour redoutable. Elles s’avançaient sur un front de 75 kilomètres, assez espacées pour vivre facilement sur le pays et utiliser à la fois beaucoup de routes. Mais elles marchaient couvertes par une cavalerie nombreuse et lancée assez au loin pour qu’elles eussent le temps de serrer leurs intervalles, si des forces françaises étaient signalées. Enfin M. de Moltke avait prescrit que la troisième armée gardât une avance d’une marche sur la quatrième, « de telle sorte que, si l’adversaire vient à faire tète, on puisse toujours l’attaquer de front et sur sa droite, et le refouler au nord de Paris. »


III

Si la régence, l’empereur, ni Mac-Mahon, ne connaissaient pas toute l’étendue de ces victoires et de ces menaces, ils en avaient assez appris pour deviner et craindre une partie de la vérité. Du 17 au 20 août, l’armée de Châlons avait attendu Bazaine, prête à se porter à sa rencontre si dans sa retraite, qu’on croyait commencée, il avait besoin de secours. Toutes les dépêches de Bazaine annonçaient ses combats, pas une sa marche ; la dernière qu’on eût reçue, datée du 18, informait « d’une attaque dirigée par le roi de Prusse en personne, avec des forces considérables, sur tout le front de notre ligne. » Puis le télégraphe avait été coupé, et ce silence était une mauvaise nouvelle. Enfin, le 20, des coureurs ennemis étaient signalés à 40 kilomètres de Châlons et, derrière eux, deux masses allemandes qui, de la Moselle, s’avançaient sur la Marne.

Cette marche victorieuse chassait devant elle notre dessein de concentrer nos forces. Sage et facile au lendemain de nos premiers revers, il s’évanouissait dans ces revers nouveaux. Au lieu de nous réunir pour combattre, nous avions été contraints de combattre pour nous réunir. L’armée de Metz avait été arrêtée dans son effort pour gagner Châlons. L’armée de Châlons était moins capable encore de gagner Metz. Inférieure en effectifs et en valeur militaire à l’armée du Rhin, elle était menacée par des forces égales à celles qui avaient eu raison de cette armée. Le pressant intérêt des 120 000 Français rassemblés en Champagne était de ne pas attendre dans des plaines sans abri le choc de