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les Allemands attaquent à la fois toute notre ligne ; la bataille de Saint-Privat commence. Mais tandis que le 14, à Borny, nos 170 000 soldats en avaient devant eux 60000, que le 16 ils luttaient à Rezonville à nombre à peu près égal avec l’ennemi, le 18, il leur faut soutenir le choc de 230 000 Allemands. Le point décisif est au nord de la bataille, à Saint-Privat, où la gauche ennemie et la droite française se disputent la possession des dernières routes qui restent libres encore entre Metz et la France. Les dispositions des Allemands sont prises en conséquence : des huit corps qu’ils mettent en mouvement, trois ont pour mission de contenir notre gauche, cinq sont destinés à enfoncer notre droite, et de ces cinq, trois concentrent leur effort sur l’extrémité de cette droite, Saint-Privat. De notre côté, à l’aile la plus menacée, Bazaine a mis le corps le plus faible en hommes et en artillerie, le 6e, et durant toute la journée, tandis que Canrobert lutte avec 26 000 hommes et 66 canons contre 200 pièces et 80 000 hommes, la garde impériale, malgré ses appels, ne vient pas à son secours. Par un prodige de ténacité, le 6e corps tient jusqu’au soir ; mais alors, écrasé de feux et tourné, il cède le terrain : sa retraite découvre le flanc du 4e corps, et détermine un recul de toute notre droite. Reculer c’est abandonner la route de Briey, c’est livrer la dernière qui nous restât, celle de Thionville. L’armée française est cernée.

Alors et là seulement s’arrête cette grande évolution, combinée dès la frontière, commencée face au sud, continuée face à l’est, terminée face à l’ouest, où les Allemands ont fini par avoir entre eux et leur ligne de retraite l’ennemi et un grand fleuve, où ils ont osé, pour nous étreindre, étendre autour de nous leur armée comme un long serpent qu’un seul coup heureux eût suffi à couper ; le succès avait couronné un mouvement stratégique remarquable entre tous par les distances parcourues, les masses employées, l’audace du dessein, l’ordre de l’exécution, la vigueur des chocs, l’équilibre des vertus militaires qui avaient concouru à ce résultat.

Dès le lendemain l’état-major ennemi préparait de nouveaux succès. La troisième armée était, durant les dernières batailles, demeurée en réserve entre Nancy et Toul. A peine fut-il certain qu’on n’avait plus besoin d’elle autour de Metz, qu’elle reçut, le 19, l’ordre de poursuivre sa route vers Paris. Pour bloquer sous Metz nos troupes, dont l’élan offensif était brisé, il ne parut même pas nécessaire d’y maintenir les deux armées qui les avaient vaincues. La garde, deux corps, et deux divisions d’infanterie, au total 80 000 hommes, furent enlevés à la seconde, et, sous les ordres du