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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/335

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Reims avec toutes les instructions nécessaires. Ne pas secourir Bazaine aurait à Paris les plus graves conséquences. En présence de ces désastres il faudrait craindre que la capitale ne se défendît pas. »

Cette insistance était superflue, et la régence, au moment où elle combattait encore, venait déjà de triompher. Dans son entretien avec Rouher, le maréchal n’a pas faibli, mais il a épuisé sa force de résistance. Etranger aux partis, il ne peut mesurer les périls dont on le menace. Mais l’homme qui les prédit est le serviteur le plus renommé de l’empire, et vient, avec l’autorité d’un passé heureux et fort, apporter au présent désemparé un suprême avertissement. Lui, soldat, en dirigeant ses troupes où l’intérêt militaire les appelle, va peut-être achever la ruine d’un régime auquel l’attachent une longue fidélité, des victoires communes, les récompenses obtenues, l’horreur instinctive de la démagogie. Le trait est enfoncé, il le traîne avec lui. Il voudrait désormais concilier ce qu’il sait être l’intérêt militaire et ce qu’on lui affirme être l’intérêt politique. Il a cessé d’être l’homme d’un seul devoir.

C’est alors que, le 22 au matin, parvient à Reims une dépêche écrite par Bazaine le 19, au lendemain de la bataille de Saint-Privat. Bien qu’il n’avouât pas sa défaite, il indiquait les positions de l’armée rejetée sous le canon des forts, il disait la « fatigue » de ses troupes après des « combats incessans » et annonçait que l’ennemi allait « tâter la place de Metz ». Il achevait par ces mots : « Je compte toujours prendre la direction du nord et me rabattre ensuite sur Montmédy, sur la route de Sainte-Menehould et de Châlons, si elle n’est pas fortement occupée. Dans ce cas, je continuerai sur Sedan et sur Mézières pour gagner Châlons. »

Laissé à l’équilibre ordinaire de son bon sens, Mac-Mahon aurait lu dans cette dépêche que Bazaine n’était ni libre de ses mouvemens, ni sûr de ses projets, et que sa sortie, toujours annoncée, ajournée toujours, devenait moins probable que jamais. Mais Mac-Mahon cherchait sans se l’avouer un motif de marcher vers Bazaine. Il se persuada que cette dépêche lui apportait ce motif, que Bazaine l’appelait à un rendez-vous certain, était déjà en route, que le devoir commandait de se porter à sa rencontre, et que pour le joindre il fallait marcher vers Montmédy. Aussitôt, en homme impatient d’échapper aux incertitudes par un fait accompli, il donna ses ordres de mouvemens et les annonça au ministère. La dépêche que la régence lui envoyait pour le pousser vers Bazaine et la dépêche où il annonçait sa marche vers la Lorraine se croisèrent sur les fils. Pour la seconde fois la régence avait empêché le retour du souverain et de l’armée à Paris.