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Entrés pour la plupart dans la Chambre sous le gouvernement absolu, instruits durant de longues années à croire que la politique intérieure et extérieure appartenait au domaine privé de l’empereur, l’esprit de soumission continuait à dominer en eux. Ils n’avaient jamais renversé que le ministère Ollivier, et, quand ils se croyaient sûrs de ne pas déplaire par ce vote à la régente, ils avaient accueilli le cabinet Montauban dès qu’il fut consacré par la faveur de la souveraine, et tant que cette faveur le protégerait, ils n’étaient pas hommes à se révolter, en le renversant, contre la volonté impériale, leur suprême loi. L’exercice de leur pouvoir parlementaire leur paraissait une usurpation sur la prérogative de la couronne. Moins encore eussent-ils osé imposer de cette sorte un plan militaire, c’est-à-dire intervenir en maîtres dans la question la plus étrangère à la compétence des parlemens. Moins encore eussent-ils imposé à l’impératrice le choix d’un homme qu’elle avait écarté déjà, c’est-à-dire préparé à elle une humiliation si elle acceptait, à eux-mêmes une lutte contre leur souveraine si elle résistait.

La crise publique, légale et efficace, qui pouvait porter Trochu où ils le désiraient, effrayant leurs scrupules, ils se heurtèrent à une difficulté autrement redoutable : changer la conduite du gouvernement sans changer les personnes. Tel était bien le vœu de la Chambre, et il trouva son interprète principal dans le président même du Corps législatif, M. Schneider. Des succès industriels assez importuns pour paraître une victoire du travail national l’avaient porté à sa haute l’onction. La nature de son esprit et de ses travaux ne l’avait pas instruit à s’immobiliser dans le culte de théories inflexibles, mais le disposait à plier, avec le dédain des hommes pratiques pour les principes absolus, ses idées à la puissance des faits. Il avait une intelligence commerciale de la politique, et considérait l’opinion comme une clientèle que les gouvernemens doivent satisfaire assez adroitement pour ne pas y perdre et assez vite pour ne pas la perdre. Nul n’était mieux en état d’observer à la fois la Chambre, puisque sa charge lui fournissait chaque jour l’occasion de tâter le pouls aux partis, et le gouvernement, puisque cette charge l’avait fait convier aux séances du conseil. Il vit d’une part que la Chambre, si opposée fût-elle au plan militaire du gouvernement, ne changerait pas le cabinet. Il vit d’autre part que dans le cabinet on n’était pas unanimement acquis à ce plan militaire. M. Jérôme David surtout se montrait peu confiant dans la marche vers la Lorraine ; sa qualité d’ancien officier et son dévouement à l’empire donnaient une double importance à son opinion, et ainsi dans le ministère même étaient en réserve