Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
V

Cette querelle publique, les retards apportés par elle aux mouvemens de notre dernière armée, l’agitation qu’elle entretenait dans Paris, l’angoisse qu’elle avait étendue sur toute la France ne pouvaient laisser insensibles les élus du pays.

La Chambre avait en effet conscience de ce désordre et désir d’y porter remède. Le désaccord entre les autorités militaires l’autorisait à se faire elle-même un avis, et à tenter le rôle d’arbitre. Son dévouement même, resté sincère pour l’empire, la poussait à agir, car elle se rendait compte que, pour sauver la dynastie, il fallait vaincre, et que, pour ne pas compromettre les dernières chances de nos armes, il fallait rendre à la direction de la guerre l’unité. Quand ces députés se demandaient où serait le meilleur emploi de cette armée que Montauban poussait obstinément à Metz et que Trochu rappelait désespérément à Paris, leur enquête s’éclairait de graves indices. Ils savaient que le sentiment à peu près unanime des généraux était pour le retour sous les murs de la capitale, que l’empereur avait employé à décider ce retour les derniers restes de son énergie, que Mac-Mahon ; laissé à lui-même, n’avait pas une autre pensée. Si bien que Trochu, isolé dans le gouvernement, était l’interprète de l’opinion militaire, et que Montauban, s’il avait l’appui de la régence, représentait une opinion isolée dans l’armée, et qui tirait toute sa force d’un pouvoir tout politique. Quand ils consultaient l’homme d’État auquel ils se fiaient davantage, M. Thiers se prononçait comme les chefs de l’armée, comme l’empereur, pour le retour à Paris. Quand ils s’interrogeaient eux-mêmes, leur bon sens répondait que la marche vers Paris, étant la plus prudente, était la seule sage. Ils se sentaient donc acquis aux idées militaires du général Trochu. Cette préférence s’affirma plus à mesure que le péril de la marche vers la Lorraine devint plus grand et plus proche. Et puisque une volonté politique tenait en échec le salut de l’armée, il leur apparaissait que le remède serait de donner au général Trochu, par un changement politique, la prépondérance dans le gouvernement.

Si aux bonnes intentions ils eussent joint l’indépendance, voir le salut et l’assurer aurait été l’œuvre du même instant. Il était dans leur droit de renverser le ministère et de guider le choix de la régence vers l’homme qu’ils préféraient. Mais ici apparut la vanité de la prérogative parlementaire entre les mains de ces députés : user de leurs droits était au-dessus de leurs forces.