Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la direction de Metz, il se plaçait sur le flanc droit de l’ennemi, hors d’atteinte de la IIIe armée, avec le seul risque d’être gêné par la ive, qui de Stenay à Verdun gardait les passages du fleuve. Contre celle-ci, il avait non seulement la supériorité du nombre, mais celle de la position : soit que, par un corps de troupes appuyé à Verdun, il disputât au prince de Saxe le passage de la Meuse, et derrière ce rideau marchât droit à Metz avec le gros de ses forces ; soit qu’avec toutes ses forces, après avoir laissé le prince franchir la Meuse, il l’obligeât à recevoir la bataille le dos au fleuve. Une armée eu état de marcher et de combattre eût eu chance d’arriver sans obstacle ou par une victoire jusqu’aux lignes d’investissement autour de Metz. Les Allemands craignirent un instant cette manœuvre.

Mais la panique de Beaumont rendait toute hardiesse impossible au maréchal. Loin qu’il fût prêt à gagner l’ennemi de vitesse, il lui fallait s’arrêter pour remettre quelque ordre dans ses troupes, leur donner du repos et renouveler leurs approvisionnemens. Il subit l’attraction que les places fortes exercent sur les armées affaiblies. Persévérait-il dans le dessein de secourir Bazaine, le ralliement rationnel de l’armée était à Montmédy ; songeait-il à se ménager une retraite vers Paris, c’est à Mézières qu’il fallait se rendre. Le maréchal choisit Sedan, parce que cette ville était la plus proche, et qu’il la croyait la mieux munie. Mac-Mahon venait se placer ainsi face au centre des masses ennemies, dans la position qui leur donnait le plus de facilités pour employer contre lui toutes leurs forces et l’envelopper.

La région où nos troupes cherchaient un refuge est située entre la Meuse et la frontière belge, qui là courent à peu près parallèles, à douze kilomètres l’une de l’autre. Depuis la berge droite du fleuve, le sol monte d’un mouvement général, et par gradins largement étages, vers le nord : il forme la pente méridionale des Ardennes. De vastes forêts le couronnent, dont la lisière s’élève et s’étend à sept kilomètres de la Meuse. Les cours d’eau qui descendent le long de ce versant le coupent de ravins et par des lits encaissés se jettent dans le fleuve. Sur la rive gauche, la vallée s’étend à plat, avec une largeur moyenne d’un kilomètre : au-delà commence le massif de l’Argonne, dont les mamelons la bordent et la dominent.

Sedan, bâti au niveau et sur la rive droite de la Meuse, ne commande par ses fortifications que le cours du fleuve, et est commandé de toutes parts, à petite portée, par le relief du terrain. Ni sa situation ni son étendue ne permettaient à la petite place de protéger ni même de contenir une armée. Elle n’était pour le maréchal qu’un magasin à vider : elle contenait 1 million de