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étranges apparaissant derrière des feuillages, trouant la futaie pour contempler curieusement le chevalier endormi… Et cette guirlande de figures, de figures sans corps rangées aux fenêtres lu Paradis dans le Rempart de la maison de Dieu. C’est là encore le procédé de M. Spence dans Rosa Mystica et de bien d’autres… Levant toutes ces faces sans soutiens apparens, ces miroirs d’âmes sans mains qui les supportent, on a l’impression étrange qu’évoque le poète :


Les anges le suivaient de leurs millions d’yeux…


et l’on comprend combien d’artifices il a fallu pour obtenir cette impression fascinatrice au prix des lois de la composition. On saisit enfin le grand trait d’un tableau anglais : la suggestion, et l’on voit tout subordonné à ce trait. Pas de gaîté, de la noblesse ; pas d’agitation, du calme ; pas de groupement, de la juxtaposition ; pas de verve, de l’intention ; rarement du réel et du vécu, toujours du voulu et du pensé. L’idée que l’art est une chose sérieuse nous pénètre et nous garde. En entrant dans une galerie anglaise, nous pensions nous distraire de la vie : nous n’avons échappé qu’à ses futilités et à ses faciles traverses, mais ce qu’elle a de douloureux nous est apparu malgré nous. Venant chez des peintres, nous pensions voir un décor : ils nous ont conté un drame. Regardant une statue, nous croyons jouir de ses formes immortelles : elle a ouvert la bouche et elle a prophétisé… Nous sommes comme le garçon de noces de Coleridge ; il se rendait à une fête, à une fête des yeux, à une fête du cœur, mais il a rencontré un vieux marinier, aux regards brillans, qui l’a forcé de s’asseoir sur un banc de pierre et d’écouter la leçon terrible de l’Albatros… Nous l’avons donc entendue, cette sombre histoire, et nous sortons de la galerie sinon plus distraits, du moins plus riches de pensées, sinon plus enthousiastes des formes extérieures, au moins plus disposés à regarder en nous-mêmes et, comme le garçon de noces de Coleridge, « plus tristes, mais plus sages. »


II

Nous venons de considérer le dessin et la composition d’un tableau anglais, et nous avons trouvé qu’ils nous offrent trois caractéristiques bien marquées : l’intimité de la donnée, la particularité du geste (ou au moins l’intensité de l’expression) et la noblesse de l’attitude, que cet art diffère ainsi de notre art académique en ce que le geste est particulier et de notre art réaliste en ce qu’il