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est noble. Nous allons voir, en étudiant sa couleur et sa facture, comment il diffère encore de tous les deux.

L’idée anglaise de la couleur, c’est qu’elle doit être éclatante, bright colour[1]. Voilà encore, avec la particularité du geste, un legs des préraphaélites. Avant eux, on la préférait atténuée, subdued, ou même brune, le ton cher aux vieux maîtres, disaient les « connoisseurs » du temps de Reynolds. Ruskin mille quelque part « cette idolâtrie pour la terre d’ombre, de sir George Beaumont et de ses pareils, le système du : « Où allez-vous mettre votre arbre brun ? » ce code des premiers plans colorés au violon de Crémone, du vernis brun et du bitume, et toute cette vieille science de hibou, qui, comme le pinceau de la douleur, de Young,


Trempé dans la mélancolie, rembrunit tout.


Plus tard, en 1856, lorsque les lueurs crues du pré-raphaélisme n’ont pas encore entièrement dissipé la jaunisse classique, il se plaint amèrement que « la couleur moderne soit en général éminemment sombre, tendant continuellement au brun et au gris et constamment falsifiée par les meilleurs peintres, fiers de réaliser ce qu’ils appellent des teintes chastes et atténuées, de telle sorte que, tandis que le moyen âge peint son ciel d’un bleu brillant et son premier plan d’un vert clair, qu’il dore les tours de ses châteaux, et revêt ses figures de pourpre et de blanc, nous autres nous peignons notre ciel gris, notre premier plan noir, notre feuillage brun, et nous estimons avoir assez sacrifié au soleil, si nous avons toléré le dangereux éclat d’un manteau écarlate ou d’une jaquette bleue[2]. » Cent fois le fougueux esthéticien revient à la charge contre le brun « cette caractéristique de toutes les fausses écoles de couleur. » Cent fois il adjure les peintres anglais de marcher hardiment vers les tonalités franches, claires, éclatantes, et comme il sent bien qu’il ne sera pas appuyé par le public britannique s’il dit seulement que la couleur vive est vraie, ou qu’elle est belle, il s’avise qu’elle est morale, qu’elle est d’institution divine, et qu’elle est prescrite par les livres saints. « Dieu lui-même a employé la couleur dans sa création, comme l’invariable accompagnement de tout ce qui est le plus pur, le plus innocent et le plus précieux, tandis qu’aux choses utiles

  1. Je demande la permission de citer, en ces matières techniques, le mot anglais, parce qu’il se trouve être parfois le seul à préciser une qualité ou un défaut, ou une opinion qui, n’existant pas en France, n’ont pas de terme qui les traduise exactement.
  2. Modern Pointers, vol. III. The Rocks et Of Modern Landscape.