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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/444

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êtres est en honneur, là où une fleur est considérée comme une âme humaine s’acheminant vers l’anéantissement complet, le Nirvana bouddhique.

M. Blume, qui a publié un livre instructif sur les Orchidées de l’Archipel Indien et sur la flore du Japon[1], a raconté, — d’après ce qui lui a été raconté à lui-même, — qu’une petite Orchidée a perpétué le souvenir du séjour que fit chez les Malais une divinité de l’Olympe asiatique. Le nom indigène Daun Petola que porte cette plante, une merveille[2], signifie feuillage magnifiquement orné et décoré ; elle est assez semblable, quant aux couleurs, à ces chatoyantes étoffes dont se parèrent devant nous, en exécutant leurs danses lascives, les Javanaises de l’Exposition du centenaire. Ces étoffes portent le nom de Petola dans l’Archipel Indien.

Par malheur, l’écharpe dont, s’enveloppa la messagère céleste était plus éclatante que les couleurs de l’arc-en-ciel. Les Malais en furent éblouis ; ils s’en effrayèrent et chassèrent celle qui la portait. Ils eussent lapidé la pauvre déesse si elle ne se fût hâtée de chercher un refuge dans de hautes montagnes, d’un accès presque impossible à de simples mortels. Là, elle pleura de dépit, puis, se débarrassant de la trop brillante écharpe, elle la cacha après l’avoir déchirée, mise en lambeaux, dans des interstices de roches qu’une mousse épaisse et des lianes gigantesques recouvrirent. Plus simplement vêtue, elle osa de nouveau se présenter chez ceux qui l’avaient si cruellement persécutée, et, cette fois, ils l’écoutèrent patiemment, car ils se convertirent en grand nombre. Par une inconséquence que nous ne nous chargeons pas d’expliquer, ses disciples la supplièrent de reparaître devant eux dans son premier éclat ; elle s’y refusa, avec raison, pour les punir du méchant accueil qu’ils lui firent.

Par une faveur toute divine, les lambeaux de l’étoffe merveilleuse se mirent un jour à germer, et l’on vit au sommet des montagnes le Daun Petola refleurir plus resplendissant que jamais. La nouvelle s’en répandit dans l’Archipel malais et dans les plaines d’Asie ; une foule compacte de curieux accourut de toutes parts pour constater le miracle. A la vue de cette belle floraison mystique, chacun voulut en posséder une racine pour l’avoir chez soi. Il y eut alors des rixes terribles entre les anciens possesseurs de l’Orchidée et les nouveaux venus, si bien que, déchirée, mise de nouveau en lambeaux, dispersée aux quatre vents, la Daun Petola disparut entièrement.

  1. Blume, Orchidae Archipelagi Indici. 1 vol. in-folio, 1858.
  2. Une Anœctochile.