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boulangisme n’aura été qu’une première répétition. Les optimistes assurent que M. Brisson, précisément parce qu’il ne peut pas être suspect à l’extrême gauche, aura plus d’ascendant que tout autre pour dominer le tumulte et pour faire accepter son autorité. Puissent-ils ne pas se tromper ! Nous dirons alors qu’à quelque chose malheur est bon.


Les discours qui ont été prononcés à Berlin et à Rome, à l’occasion du 1er janvier, n’ont pas eu une importance exceptionnelle. Il faut signaler pourtant le langage tenu par l’empereur Guillaume à ses généraux : on ne lui reprochera pas un excès de sérénité. « De même qu’en 1870, a dit Guillaume II, nous nous trouvons en face de graves événemens. » Une telle déclaration aurait causé en Europe la plus profonde inquiétude si l’empereur ne s’était hâté d’ajouter que, cette fois, l’ennemi n’était pas au dehors, mais au dedans. Il ne s’agit que des socialistes et des anarchistes, et quel que soit le péril qu’ils présentent, on trouvera sans doute que Guillaume l’a un peu poussé au tragique en rappelant 1870. Comme à cette époque, il compte que « la puissante armée allemande sera son meilleur appui. » Il y a là une menace qu’il a rendue intentionnellement très directe, afin d’en augmenter l’effet d’intimidation. Quant au roi d’Italie, on est plus embarrassé pour savoir au juste ce qu’il a voulu faire entendre lorsque, en recevant le président du Sénat, il a déclaré qu’il comptait sur ce grand corps, « lequel a parmi ses membres l’élite de la nation, » et qu’il a ajouté : « Les institutions ont en vous une base solide, sûre, et, grâce à votre concours, je suis convaincu que nous pourrons sortir des difficultés qui surgiraient devant nous. » Le langage du roi n’a pas été tout à fait aussi confiant à l’égard du président de la Chambre. Il s’est borné à lui dire « qu’il priait la Providence afin que l’année qui commence fût féconde pour son peuple, sur la fidélité duquel il a toujours compté et compte toujours… L’accord entre le peuple et le roi a toujours fait et fera toujours, a-t-il conclu, la fortune de l’Italie. » La Chambre est issue du peuple, mais elle n’est pas le peuple lui-même, et on a cru d’abord, en lisant le discours du Trône, que le roi avait pris son parti de dissoudre le Parlement et de faire un appel au pays. Toutefois, rien n’est encore certain à ce sujet, et les journaux se sont hâtés d’atténuer ce que la harangue royale semblait avoir de trop explicite. On ne saura que dans quelques jours à quelle résolution le roi se sera arrêté. Nous l’attendrons avec d’autant plus de réserve qu’un certain nombre de journaux italiens reprochent avec amertume à la presse française de trop s’occuper de leurs affaires. Il était, ce semble, assez naturel d’en parler, comme tout le monde, au surplus, le fait en Europe ; on ne pouvait pas en parler sans émettre des appréciations ou des prévisions, et on ne pouvait pas les émettre sans être accusé de donner des conseils. Des conseils ! l’Italie ne veut pas en recevoir, et il faut voir de