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Belgique ne pouvait manquer de se poser. Aussi, dès ce moment, notre diplomatie s’est-elle préoccupée des conséquences qui résulteraient pour nous de cette annexion, et le langage tenu alors par M. Bernaert à la Chambre des députés belges porto la marque évidente de l’accord préalable qui s’était établi entre les deux gouvernemens, ou pour mieux dire entre les trois, ceux de l’État du Congo, de la Belgique et de la France. « Si la France, disait M. Bernaert, voit avec satisfaction la Belgique s’installer à ses côtés sur les rives du Congo, toute modification à la souveraineté de ces territoires, autre que celle réglée par la convention qui vous est soumise, n’eût pas laissé et ne laisserait pas la France indifférente. » Qu’est-ce à dire, sinon que la France acceptait, et même « avec satisfaction, » que la Belgique devint sa voisine immédiate en Afrique comme elle l’était déjà en Europe, mais qu’elle éprouverait un sentiment différent si les territoires congolais, après être passés sous la souveraineté de l’État belge, venaient, en totalité ou en partie, pour une cause ou pour une autre, à passer sous celle d’un autre État européen. Avons-nous obtenu à cette époque des garanties tout à fait satisfaisantes contre la réalisation de cette éventualité ? C’est ce qu’il est difficile de dire, aucune correspondance diplomatique n’ayant été publiée à ce sujet.

Toutefois M. Bernaert, dans son discours du 25 juillet 1890, ne pouvait méconnaître et n’a méconnu ni l’intérêt, ni le droit de la France dans cette affaire. Notre intérêt est évident ; quant à notre droit, il repose sur les engagemens pris en 1884 et en 1887, d’abord par l’Association internationale, puis par le roi du Congo, qui, sous prétexte d’interpréter sur un point les engagemens de l’Association, en a formellement consacré et renouvelé la valeur. Les textes sont trop connus pour qu’il soit nécessaire de les citer. On sait qu’en 1884, M. Strauch, président de l’Association internationale, dans une lettre adressée à M. Jules Ferry, président du Conseil et ministre des affaires étrangères de la République, s’est engagé à donner à la France « le droit de préférence si, par des circonstances imprévues, l’Association était amenée un jour à réaliser ses possessions. » Le mot « réaliser » est le seul que pouvait employer une association commerciale, mais l’avantage qui nous était assuré avait aussi pour nous une importance politique, et cette importance s’est accrue lorsque l’Association est devenue l’État indépendant du Congo ; elle s’accroîtra encore lorsque l’État indépendant du Congo se confondra avec la Belgique. La Belgique peut être amenée à aliéner tout ou partie de ses possessions congolaises pour d’autres motifs qu’un intérêt purement pécuniaire ; elle peut faire des cessions à titre gratuit, au moins en apparence : il doit être bien entendu que, dans ces conditions, ou dans toutes autres qui pourraient intervenir, le droit de préférence, concédé à la France par l’Association internationale et reconnu par l’État indépendant, le sera non moins