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sortie. Le port de Marseille, où le mouvement maritime représente un tonnage presque égal à celui des trois ports du Havre, de Bordeaux et de Dunkerque[1], est le point de notre littoral où se fait le plus vivement sentir ce ralentissement d’activité de notre marine marchande. Les représentans des Bouches-du-Rhône au Parlement ont eu mainte occasion de signaler le phénomène ; les doléances de la Chambre de commerce de Marseille l’ont rendu de notoriété publique. Dans tous les autres ports se sont accusés les mêmes symptômes d’affaiblissement. De grands navires de commerce ont dû être désarmés, le nombre des voyages a été réduit; les primes, votées par les Chambres pour la construction de bâtimens français et pour la navigation sous pavillon national ne peuvent plus être employées dans leur intégralité. Le montant s’en élevait, pour 1894, à 10 500 000 francs. Le rapport qui a été déposé, au nom de la commission du budget, sur les dépenses du ministère du commerce et de l’industrie, propose, d’accord avec le gouvernement, la réduction du crédit, pour 1895, à 10 millions. « Ce n’est pas, dit, le rapporteur, de nature à réjouir tous ceux qui ont le souci du développement de notre marine marchande, puisque cette diminution résulte de son affaiblissement depuis une année. Nous n’avons pas la mission d’en tirer des conclusions sur notre nouveau régime douanier, et nous en faisons la simple constatation, d’après l’aveu même du gouvernement. »

La navigation sur fleuves et canaux ne semble pas subir ce mouvement de décroissance, non plus que le trafic sur les voies ferrées. Le commerce intérieur, en effet, s’il n’accuse point de grands progrès, est au moins stationnaire.

C’est donc le commerce avec l’étranger, et surtout le commerce d’exportation de nos produits fabriqués, qui se plaint des conditions économiques au milieu desquelles il évolue, et si l’on admet par hypothèse que le protectionnisme ne soit pas l’unique cause, ni même peut-être la cause principale de toutes ces misères, il a tout au moins contre lui qu’il protège mal les industries auxquelles il promettait la prospérité ; que pour un petit nombre de personnes auxquelles il est vraiment secourable, il impose de grands sacrifices à la masse de la population; enfin que, par suite du marasme industriel, les ouvriers, tout en payant plus cher la plupart des produits et denrées dont ils subsistent, ne voient pas, comme on le leur faisait espérer, leurs salaires s’élever. Le protectionnisme répond à ces griefs en rejetant tout le mal sur une cause bien plus profonde et plus générale que son intervention selon

  1. Pendant le premier semestre de 1894 : Marseille, 3 204 883 tonnes; le Havre, 1 868 134; Bordeaux, 900 214; Dunkerque, 900 347.