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— Hé bien ! vous savez l’histoire ? vous ne pourrez pas profiter du permis. Ce damné coquin de Seymour ne sera pas exécuté…

M. Scott a obtenu sa grâce ? demandai-je.

— Non, mais l’homme s’est échappé. On le laissait trop libre dans sa cellule. Il recevait beaucoup de visites. Quelqu’un lui a passé un couteau, et cet après-midi, comme le geôlier lui apportait sa nourriture, Seymour a saisi le moment où cet homme posait le plat à terre, et il lui a planté ce couteau, là, entre les deux épaules. Le geôlier est tombé mort du coup. Seymour lui a pris son revolver, ses clefs, il a délivré sept autres noirs ou mulâtres, prisonniers comme lui. Et ces huit coquins s’en sont allés par la porte de derrière la prison qui donne dans la campagne. Ils ont eu la chance que personne ne les ait vus, en sorte que l’on n’a su leur évasion que deux heures après. Et les voilà dans les bois, par cette pluie et sur ces chemins détrempés où il n’y aura plus de traces. Dieu sait quand on les rattrapera !… N’avais-je pas raison de vous dire que le colonel est trop faible pour ces gens-là ? S’il n’avait pas demandé de sursis, Seymour aurait été pendu l’autre semaine, le geôlier vivrait, et nous n’en serions pas, nous autres, à perdre nos cliens. — J’avais une famille de millionnaires de Philadelphie qui devait arriver la semaine prochaine. Qu’ils lisent dans les journaux cette aventure, ils prendront peur et ils iront à Saint-Augustin en s’imaginant que la Géorgie n’est pas sûre.

J’étais trop habitué moi-même à la lecture de ces journaux redoutés par M. Williams et à leurs prodigieux faits divers pour m’étonner beaucoup de cette fugue. Une fois les grands centres quittés, l’Amérique continue d’être le pays des coups de main exécutés avec une audace qu’aucun danger n’arrête. En revanche, je ne m’attendais, aucunement à me trouver, moi paisible littérateur gallo-romain, mêlé à cette tragique histoire d’un bandit en rupture de geôle. Je passai la soirée qui suivit la révélation de M. Williams à me demander comment, au déjeuner du lendemain, j’amènerais le colonel à me parler de son ancien domestique. Je devinais, aux quelques mots de l’hôtelier, que ce devait être là, chez le philanthrope de Scott’s Place, un point de sensibilité tout à vif. L’étrange homme devait m’épargner cette hésitation, car ce mardi matin et dès les neuf heures, on me faisait passer sa carte avec un mot. Il était en bas qui me demandait. Je le trouvai vêtu de son costume de chasse, comme la première fois, les jambes prises dans des guêtres de cuir, et d’énormes semelles à ses bottines. Il tenait une carabine à la main.

— Je suis venu vous prier de m’excuser, fit-il sans préambule. Il nous faut remettre le déjeuner à un autre jour… Vous