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répondit à ce défi silencieux par une parole dite à voix haute, comme involontairement :

— C’est trop tard, homme… — It is too late, man. — Seymour ne parut même pas avoir entendu cette parole qui résumait si simplement toute sa destinée. C’était le colonel qu’il regardait maintenant et d’un tout autre regard. Sa prunelle brune avait repris cette douceur humide d’une tache noire, comme mouillée, dans une sclérotique très blanche, presque bleue, qui est propre aux gens de sa race. Je m’attendais devant ce regard à quelque phrase étrange ou touchante. Elle eût démenti la simplicité tout animale d’une pareille nature. Tout ce que le blessé éprouvait de sentimens particuliers envers Mr. Scott aboutit seulement à cette demande qu’il lui adressa d’une manière directe, comme s’il ne daignait connaître que lui :

— À boire, colonel, j’ai soif. Voulez-vous me donner à boire ?

Il y avait quelque chose de câlin, de presque enfantin dans la voix dont il parlait à son ancien maître, comme un rappel de gâteries dont il avait été l’objet jadis. Mr. Scott tira de sa poche une gourde plate qu’il déboucha et dont il mit le goulot aux lèvres du prisonnier, en lui soutenant la tête. Seymour avala quelques gorgées avidement. Son œil se prit à luire d’un éclat plus caressant, et, avec cette souplesse de sensations, égale chez ces êtres singuliers à leur souplesse de mouvement, il sourit de plaisir, comme s’il eût oublié sa rage de tout à l’heure, son crime de la veille, sa fuite éperdue de ce matin, ses blessures, la certitude de son sinistre avenir, et il dit en faisant claquer sa langue :

— Hé ! c’est toujours ce même whiskey que nous avions l’habitude de boire quand nous allions ensemble à la chasse. Il bat tout les autres. Merci, colonel.

— Et maintenant, répondit ce dernier, vous allez être sage et vous laisser panser…

— Est-ce que j’aurai encore du whiskey après ? demanda Seymour.

— Vous en aurez.

— Et un de vos cigares, colonel ?

— Et un de mes cigares.

— Faites, alors, — conclut le mulâtre qui tendit sans résistance sa tête d’abord, puis son bras. Mr. Scott avait apporté une petite trousse de campagne. Il déploya, pour nettoyer et bander les deux blessures, des adresses de vieux chirurgien, tandis que le militaire qui était en lui cherchait à s’expliquer un point demeuré obscur dans sa pensée :