Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure que pâlit le porche de feu, il se forme au-dessus une auréole violette qui s’élargit de plus en plus comme un nimbe de douleur et de passion et qui finit par envahir tout le ciel. Quand l’air est très pur, on voit sortir de ce nimbe cinq rayons roses qui montent jusqu’au zénith et font pâlir les constellations naissantes. C’est la troisième lumière, c’est l’adieu d’Ammon-Râ, le dernier sourire du dieu déjà lointain et la promesse de sa résurrection. La porte d’or est devenue la porte blanche et blafarde, celle qui conduit à l’autre monde, au royaume d’Osiris. Et le dernier rayon d’Ammon-Râ semble dire à l’âme accablée : « Tu ne me verras plus ; j’ai franchi les portes de la mort; va me chercher là-bas. »

Cette grandiose trilogie entre la terre, le soleil et le ciel me frappa comme une représentation vivante du drame mythologique d’Ammon-Râ, dont les trois actes pourraient s’appeler : la vie, la mort et la résurrection, et qui embrassent l’histoire de tous les êtres. Ne nous étonnons pas que les vieux Égyptiens, journellement enveloppés par la splendeur de ce spectacle, aient résumé en lui le drame de l’âme, de l’univers et des Dieux.

C’est le premier de ces drames, l’histoire et les voyages de l’âme, que nous allons essayer d’évoquer du fond même de la pensée égyptienne, au temple d’Abydos, à l’antique et mystérieux sanctuaire de la religion osirienne.


iii. — abydos. la religion d’osiris. le culte des morts et le voyage de l’âme.

Abydos ! Osiris ! Hermès ! — La ville, le dieu et le prophète des mystères égyptiens. Ces trois noms enveloppent le grand inconnu de cette vieille civilisation et de sa doctrine sacrée qui a ébloui l’antiquité, et dont un mince, mais inextinguible rayon a percé les ténèbres des siècles pour inquiéter et peut-être pour réveiller le nôtre[1].

Abydos est probablement le plus ancien sanctuaire de l’Égypte. C’est de la ville voisine de Thini que sortit Mena, le premier des pharaons, fondateur de Memphis. Jusqu’aux premiers siècles du christianisme on montrait à Abydos une crypte profonde, creusée dans les flancs de la chaîne libyque. On descendait dans ce temple funèbre entre deux rangées d’énormes monolithes, taillés en statues osiriaques, pareilles à des momies debout et qui veillent. Au fond

  1. Lepsius dit qu’au culte d’Osiris à Abydos se rattache tout le progrès religieux et philosophique des Égyptiens. Ebers ajoute ; « Abydos fut le centre vivant de tout le mouvement national et mythologique. »