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fois il a fallu recommencer la leçon : au lieu d’aspirer la fumée, il soufflait dans la pipe le plus fort qu’il pouvait. « Enfin il a compris, et à sa suite tout son peuple s’est mis à fumer, les femmes aussi bien que les hommes ; et ils en sont devenus si passionnés qu’ils nous cèdent tout ce qu’ils ont pour avoir du tabac. »

Mais l’épisode le plus intéressant du journal de Riebeck est l’histoire de ses relations avec ce Ottentoo qui savait l’anglais, et que la Compagnie lui avait recommandé pour interprète, à son arrivée. Cet indigène à demi civilisé, qui avait troqué son nom d’Antuhomao contre celui de Herry, se trouva être un homme d’une astuce et d’une corruption extraordinaires. Tour à tour renvoyé par Riebeck et rentré en grâce auprès de lui, il finit par affoler le brave Hollandais. Sans cesse il lui jouait quelque nouveau tour, et durant une grande partie du journal son nom revient à chaque page. Riebeck a beau le chasser, le déporter : il revient toujours. Enfin on apprend un jour que le misérable s’est noyé. Dans une invocation touchante, Riebeck remercie le Seigneur de sa délivrance. Hélas! quelques jours après Herry reparait, plus rusé, plus insinuant que jamais. Avant son départ du Cap, Riebeck le voit encore haranguer la foule, dans une sorte de congrès.

Je suis forcé de me borner à ces quelques traits : mais il y aurait encore bien d’autres détails à relever, dans cette biographie de Riebeck. On y trouve des récits de chasses au lion et au rhinocéros, des récits de naufrages, et jusqu’à des histoires d’amour. Riebeck avait emmené avec lui sa jeune femme, fille d’un pasteur de Rotterdam; mais plusieurs de ses compagnons se marièrent au Cap, avec de belles Hottentotes, qui semblent d’ailleurs, pour la plupart, avoir pris le mariage assez peu au sérieux. En 1662, après dix ans de gouvernement, Riebeck quitta la colonie, ayant été nommé commandant de Malacca. Il mourut à Batavia en 1677.


J’aurais voulu dire encore quelques mots des autres revues hollandaises, du Nieuwe Gids, revue déjeunes gens, intransigeante et volontiers révolutionnaire, et qui a fait au Gids, durant dix ans, une concurrence acharnée; de la revue flamande Van Nu en Straaks; du Tweemandelyksch Tydschrift; de la Onde Holland, une des revues d’art les plus intéressantes qui soient. J’y reviendrai une prochaine fois.


T. DE WYZEWA.