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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/706

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Hommes de l’Eau, les Boschemans ou Pécheurs, les Namas et les Voleurs de tabac. Ces derniers, malgré leur surnom, n’étaient point les pires de ces indigènes, qui tous offrirent de suite à l’observation de Riebeck ce trait commun d’être aussi zélés à recevoir du tabac et du cuivre que peu disposés à rien livrer en échange.

Or, c’était précisément le principal objet de la mission de Riebeck, d’après ses instructions, d’échanger du cuivre et du tabac contre du bétail. L’entreprise avait un caractère purement commercial. Il était convenu que le terrain devait être occupé sans paiement et par force ; mais que les vaches et les moutons auraient à être achetés : aux meilleurs conditions possibles, naturellement. Et toute l’histoire de ces dix premières années de la colonie n’est rien que l’histoire des efforts de Riebeck pour faire faire à sa Compagnie des marchés avantageux avec les indigènes.

Mais la chose n’était pas facile : car si les Hollandais avaient l’instinct du commerce, les Hommes de l’Eau et les Voleurs de Tabac paraissent avoir eu à un degré égal l’instinct du mensonge et du vol.

Fidèle à ses instructions, Riebeck essaya d’abord de les traiter en amis. Mais il entendait bien ne pas entrer en discussion avec eux. Il mentionne avec indignation « l’audace » de quelques indigènes, qui, ayant voulu bâtir des huttes dans le voisinage du fort hollandais, et en ayant été empêchés, ont répondu « que c’était leur propre pays, et que si on ne voulait pas le reconnaître ils viendraient en foule, et armés de bonnes flèches ». Il s’étonne ailleurs de ce que les indigènes, pour se justifier d’être des « voleurs de bétail », accusent les Hollandais d’être des « voleurs de terrains ». L’idée ne lui vient pas un moment que ces sauvages puissent avoir quelque droit à être les maîtres de leur pays.

Il ne néglige rien, en revanche, pour les convertir à la religion réformée. Il note comme une date particulièrement heureuse le jour où une jeune Hottentote lui déclare vouloir rester parmi les Hollandais, pour s’instruire dans leur foi et recevoir le baptême. Cette Hottentote ne tarde pas à être baptisée, et Riebeck, son parrain, lui donne le prénom d’Eva. Il la marie avec un aide chirurgien danois, Pierre de Merhoff, et c’est pour lui un nouveau bonheur. Mais il s’aperçoit bientôt que la néophyte est restée fidèle à toutes les habitudes de mensonge de sa race, et qu’outre son goût naturel pour la trahison, elle a encore contracté parmi les Européens une fâcheuse tendance à l’ivrognerie. Et de jour en jour il la voit s’éloigner davantage des principes chrétiens.

Il nous raconte, une autre fois, comment il a initié les Namas à la civilisation européenne. Il a offert à leur roi une pipe allumée, l’engageant à se la mettre en bouche. Mais le roi avait la tête dure, et quatre