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Le dialogue est brûlant de passion, éclatant par la richesse des images. Il est telle adjuration douloureuse de Constantin qui aura sa place dans toutes les anthologies dramatiques. Cela mérite vraiment d’être admiré. Je suis d’autant plus libre pour présenter quelques objections.

Il y a d’abord telle étude qui sous la plume de M. Coppée eût pu être sans doute d’une belle intensité et que le poète, je ne sais pourquoi, a complètement négligée : c’est l’étude des sentimens qui, dans l’âme du fils, accompagnent la révélation de la trahison paternelle. Au moment où Constantin sort de sa tenture, il nous dit : « Mon père trahit, et je le sais. Que faire? » Il ne dit pas autre chose. C’est trop peu. Entre ce moment et celui où nous le revoyons, que s’est-il passé dans son cœur? Il a été en proie à des angoisses cruelles. Nous le devinons bien; mais c’est pour cela justement que nous aurions voulu qu’on nous les fit connaître. Il est dans la vie de l’âme des minutes décisives et d’où tout le reste dépend. Le mal, dont sans doute nous soupçonnions l’existence, mais sans en avoir encore touché la réalité, nous apparaît soudainement. C’est une brusque déchirure et qui s’ouvre sur des perspectives infinies. Le point de vue est changé. Le monde se révèle à nous sous un angle différent. Nous avons aperçu l’autre côté des choses... Voici un fils élevé dans le culte d’un père qui est en même temps pour lui le chef et le maître, le héros national, incarnation de la patrie. Dans ce père il est contraint subitement de ne plus voir qu’un traître. N’y a-t-il pas là de quoi brouiller les notions, compromettre toutes les croyances, ébranler la base elle-même de la foi et tout remettre en question? Et cet orage intérieur ne méritait-il pas d’être décrit? Je ne citerai pas à M. Coppée les exemples de Corneille et de Shakspeare, car on a toujours l’air en pareil cas de vouloir établir des comparaisons fâcheuses. Mais il me permettra bien d’invoquer son propre exemple. Quand Severo Torelli apprenait le secret de sa naissance, du coup il lui semblait que la face du monde fût changée. Les êtres, les choses, et lui-même il ne se reconnaissait plus. Ce retentissement d’une même émotion à travers tous les sentimens et toutes les idées, et jusqu’au plus profond de la conscience, cela valait la peine qu’on nous le montrât. C’est une partie de sa tâche à laquelle le poète s’est dérobé; c’est un certain degré de pénétration intérieure dont on regrette l’absence. En vérité cela manque de psychologie. Je demande pardon à M. Coppée pour ce mot qu’il trouvera sans doute trop savant et prétentieux, et que je remplacerai d’ailleurs bien volontiers par celui d’analyse.

Je n’ai pas marchandé l’admiration aux propos magnifiques qu’échangent Michel et Constantin. L’imagination est éblouie par ce jaillissement d’éloquence pittoresque. Peut-être la raison est-elle moins