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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/713

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hallucinations. La vie lui est devenue intolérable et il cherche la mort. Aussi bien tout le monde l’abandonne, et Dieu même est contre lui. C’est Dieu qui lui envoie ces défaites successives qui déshonorent ses armes et mettent la révolte dans ses troupes. La malédiction paternelle est sur lui. Oreste a commis le crime : les Erinnyes s’emparent du drame. — Il y a plus, et ceci dans le cas de Constantin est particulier : celui-ci ne fait rien pour échapper au châtiment ; il n’essaie pas de se soustraire à la réprobation universelle. Au moment où on l’accuse de trahison, il n’essaie pas de se défendre. Il n’aurait qu’un mot à dire : il ne le dit pas. A défaut de lui, Militza pourrait parler : il lui impose de garder son secret. Non seulement il ne repousse pas la souffrance, mais il va au-devant. Il veut souffrir afin d’expier. Il croit que la souffrance en elle-même est bonne, qu’une vertu réside en elle, et qu’elle seule purifie. Cette idée de la bonté de la souffrance est exactement celle qu’ont tant de fois développée des écrivains que M. Coppée n’aime guère. Telle scène où Constantin et Militza, le meurtrier et la pauvre fille, unissent leurs deux misères, semblerait, si l’on n’était prévenu, directement inspirée de l’influence des romanciers russes. On jurerait d’une transposition de l’entrevue de Rodion et de Sonia. Bien sûr on ne peut soupçonner M. Coppée de s’être mis, lui centième, à l’école de ces étrangers qu’il a maintes fois malmenés. Est-ce alors qu’il y a eu rencontre? M. Coppée a-t-il fait de l’évangélisme sans le savoir? Serions-nous donc plus malades que nous ne croyons? Et « l’art brumeux » du Nord aurait-il étendu ses brumes jusque sur ce clair esprit de Latin? Il est dans l’histoire des lettres de ces mystérieuses correspondances, bien propres à servir de thème aux méditations du penseur... Peu importe d’ailleurs; d’où qu’elle vienne, l’idée est belle qui enseigne que toute infraction à l’ordre naturel appelle un châtiment. Je vois nettement ce qu’une telle conception vaut au regard de la morale. Je me demande seulement si au point de vue du théâtre elle a même valeur. L’écrivain de théâtre n’a pas à nous montrer ces justes retours et ces compensations nécessaires de nos actes. Il ne doit pas laisser notre jugement en suspens et notre esprit dans l’indécision. Il n’a pas à indiquer les deux aspects de la question et à développer successivement le pour et le contre. Il doit rompre l’équilibre, prendre nettement position, adopter un parti quel qu’il soit, et nous l’imposer.

De même, je crains que les qualités par lesquelles se recommande le style de Pour la Couronne! ne soient pas les qualités proprement dramatiques. Ce style est souple et riche. Il abonde en images faciles qui se développent à loisir. Plusieurs de ces images sont empruntées aux drapeaux, davantage aux fleurs, le plus grand nombre aux étoiles. Les étoiles jouent un rôle important dans les vers de ce drame. Elles vivent, elles voient, elles jugent. Elles ont une âme, elles personnifient la conscience