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elles ont aussi des qualités. Le grand danger qu’on a toujours signalé comme inhérent à la République est celui qui se produit à chaque renouvellement de présidence : ce danger, qu’il est impossible de nier en théorie, ne s’est jamais manifesté dans la pratique, peut-être à cause de la réserve et de l’inaction relative dans lesquelles nos présidens se sont renfermés. Le temps manque d’ailleurs, ou a toujours manqué pour préparer des brigues et des conflits : M. Casimir-Perier a donné sa démission le 16 janvier et M. Félix Faure a été élu le 17. Il a suffi que nos sénateurs et nos députés allassent passer une après-midi à Versailles : à leur retour, la République avait un président nouveau. Trois candidats se sont trouvés en présence :d’un côté, M. Brisson, ayant derrière lui tous les radicaux et les socialistes; de l’autre M. Félix Faure et M. Waldeck-Rousseau, qui se partageaient, au premier tour de scrutin, les voix des modérés. Au second, celui des deux qui aurait eu le moins de voix devait se retirer devant son concurrent plus heureux, et c’est ce que M. Waldeck-Rousseau n’a pas manqué de faire avec beaucoup de correction et de loyauté. Il fallait, avant tout, empêcher M. Brisson de passer. Quelle que fût son honorabilité personnelle, il avait derrière lui l’armée confuse et turbulente qui s’étend parlementairement depuis M. Bourgeois jusqu’à M. Jaurès et à M. Rouanet. Lorsqu’il a été élu président de la Chambre, des cris de : Vive la sociale ! se sont élevés sur les bancs de l’extrême gauche. Son succès aurait, bon gré mal gré, donné une accélération inquiétante au mouvement dans lequel le parti révolutionnaire essaie d’entraîner le pays. Au dehors, la France se présentant sous les traits du radicalisme le plus pur n’aurait pas excité les mêmes sympathies. La nécessité de faire échec à sa candidature apparaissait donc à tous les esprits vraiment politiques, et elle s’est imposée à la majorité du Congrès. M. Félix Faure a eu une soixantaine de suffrages de plus que M. Brisson, et il a été élu président de la République pour sept années.

« Pour trois mois! » ont vociféré les radicaux et les socialistes : nous espérons qu’ils se sont trompés, et que M. Félix Faure ira jusqu’au bout de son mandat. Tous les journaux ont fait sa biographie : elle est des plus honorables. M. Félix Faure est vraiment le fils de ses œuvres. Il s’est élevé rapidement, par le travail, l’intelligence et la probité, à une situation qui lui assurait, avec une large aisance, la confiance et l’estime de tous. Dans les Chambres comme au dehors, son rôle a toujours été celui d’un travailleur. Les questions d’affaires l’attiraient plus que les questions politiques, ce qui n’est pas un mal, surtout à un moment où les principales questions politiques peuvent être considérées comme résolues. Le coup de fortune qui vient de l’élever au premier rang était sans doute imprévu il n’y a pas longtemps encore, mais ii n’a étonné personne au Sénat et à la Chambre. Il est impossible, en effet, de réunir dans un plus parfait équilibre les facultés qui font