plus de lettres qu’un ministre n’en signe en six mois, il arriva d’autre part que, grâce à la présence du lord-missionnaire et à l’ascendant qu’il exerçait, on n’eut d’autre musique que celle des cantiques, et d’amusemens, que les lectures et les exhortations qu’il voulut bien nous faire. On avait supprimé les jeux pour ne lui pas déplaire. On fumait le moins possible, et, pour boire les liqueurs, on attendait qu’avec les dames il eût quitté la table.
Il est vrai que la contrainte et les privations que l’on s’imposait à cause de lui, le touchaient peu. A peine s’il faisait semblant de s’en apercevoir. Il était exigeant et, comme sont les apôtres, insatiable.
Son zèle envahissant m’eût été particulièrement insupportable, si l’excès n’en avait été tempéré par un langage et des manières capables d’étonner chez un Anglais en voyage. Je m’aperçus, une fois de plus, que, passé un certain niveau, la politesse fait les mêmes miracles en tout pays, qu’elle est partout la même, que le ton n’en est pas très différent.
Il avait aussi l’avantage de parler un français merveilleusement pur et presque sans accent. En rendant nos rapports plus aisés cette particularité fit promptement de notre sympathie réciproque une confiance qui, dans la suite, ne se démentit pas. J’ajouterai que cette parfaite connaissance du français, en enhardissant ses confidences, lui fit oser certains sujets qu’en sa langue il ne lui eût peut-être pas été permis d’approcher de si près.
A l’exception de voiles et de mâts, il y avait de tout sur cette ville flottante, — jusqu’à un bureau de poste, — et nous mangions tous les matins d’excellens petits pains frais. Les îles et les continens auraient péri dans un nouveau déluge que, comme l’arche, le Samson eût suffi à repeupler la terre submergée. Car outre les animaux de consommation ordinaires qui, de nouveau, auraient pullulé sur le monde, nous avions embarqué une ménagerie, ainsi que douze volières d’oiseaux rares, don de Sa Hautesse le nizam d’Hayderabad à Sa Majesté britannique.
Toutes les races de l’ancien monde étaient, d’autre part, représentées : celle de Cham par douze chauffeurs nègres qui, des profondeurs qu’ils habitaient, montraient aux curieux penchés pour les voir leur bon rire et leurs dents blanches; celle de Sem par deux barbiers arabes et un banquier israélite venu de Londres aux Indes pour visiter des mines de rubis ; celle de Japhet enfin par le cuisinier chef, M. Renard, qui, comme moi, était Français, et par plus de deux cent cinquante Anglais des deux sexes, y compris lord Hyland, lady Hyland et leur fille lady Lucy, celle-ci blonde avec de doux yeux comme sa mère, un peu pâle et divinement élancée.