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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/746

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Elles semblaient deux sœurs, ce qui n’étonnera pas quand on saura que lady Hyland s’était mariée à seize ans et que lady Lucy avait passé l’âge précoce où, à l’imitation des rois, les petits princes ont coutume de marier leurs filles. A quelques différences près elles se coiffaient de même, portaient les mêmes toilettes, toutes charmantes, variées à souhait. La même idée qui poussait lord Hyland à se bien habiller faisait qu’il ne leur refusait rien de tout ce qui contribue à l’élégance des femmes les plus raffinées. Elles l’étaient par habitude et avec goût, c’est-à-dire avec simplicité et elles ne s’y absorbaient pas. La batiste et la mousseline étaient seulement plus fines, leurs robes mieux faites, leurs femmes de chambre mieux choisies.

Tant s’en faut que je veuille faire entendre par là que, sur les quatre-vingts filles ou femmes de fonctionnaires et notables commerçans qui chaque soir se décolletaient pour dîner, toutes fussent mal vêtues ou privées d’agrément. L’Inde d’où elles venaient et le ciel enflammé sous lequel nous naviguions, leur interdisaient les soies trop pesantes, les sauvaient des tons criards en ne leur permettant guère d’autre couleur que le blanc. De telle façon que si, dans leurs robes claires, toutes n’avaient pas l’air de fantômes, et qu’encore les faces rouges ne manquassent pas, il y avait de jolis visages et quelques formes légères dignes, autour de lady Lucy, le soir aux étoiles, de faire apparition.

Quand celle-ci eut, à son tour, découvert en moi le messager qu’à tout hasard, William lui avait annoncé dans ses lettres, ma tâche fut encore facilitée par l’approbation d’une mère qui, d’accord avec sa fille, ne la taisait que par fierté native et pour s’épargner la honte de nouveaux refus. Lady Hyland assista à l’entretien que nous eûmes et, comme à mes paroles, son sourire et ses larmes s’associèrent à la réponse dont lady Lucy me chargea pour son fiancé.

Ainsi que William, il n’y avait d’intéressant en elle que son malheur. Les amans que l’on sépare intéressent toujours ; mais combien plus ceux que l’ardente et fidèle continuité de leur chagrin distingue, et ceux-là surtout dont tous les raffinemens de l’éducation et la délicatesse ne font pour ainsi dire encore que perfectionner les douleurs !


« Le malheur aussi a des ailes et peut s’envoler, me dit-elle quand j’eus répondu aux plus touchantes questions. — Ce serait trop vous demander de chercher à revoir William, reprit-elle ensuite, mais s’il arrivait que la volonté de Dieu vous rapprochât de nouveau, raffermissez son courage en lui disant que j’attends, que j’espère toujours, que jusqu’ici l’événement seul a été contre